Le rat d’égout Nuril Basri

Les conséquences de raconter, dans une autre langue, sa vie et ses amours. Entre ironie, distanciation et auto-apitoiement, sous une fausse simplicité, dans une langue d’une banalité de prime abord agaçante, Le rat d’égout questionne ce que l’on attend d’un récit, nos perceptions de la littérature mondialisée et indonésienne, mais aussi des très grandes difficultés de dire son homosexualité dans son propre pays, de s’inventer sa propre récit dans les ambivalences de la séduction. Nuril Basri signe ici un roman bien plus malin qu’il n’y paraît.

Avouons avoir été bien près d’abandonner la lecture du Rat d’égout. Pour la pire et la meilleure des raisons en plus : son style. Ne fut-ce pour le plaisir de vous parler d’une nouvelle maison d’édition, Perspective cavalière (qui souhaite mettre en avant les littératures minoritaires, à cause de la géographie ou du genre), peut-être n’aurais-je pas persévéré. Tout paraît terriblement plat, au premier degré, comme déformé d’ailleurs par des tournures internet. Dans toute une partie du roman, on en vient à se demander si la platitude stylistique n’influe pas hélas sur le ressenti des sentiments, ordinaires , naïvement pourrions-nous penser, jusqu’au banal. Préférons y voir une stratégie de l’auteur, une façon de nous mettre face à nos propres attentes et ce qu’elles peuvent avoir de stéréotypées. On en vient à se poser des questions aussi stupides que celle-ci : si le narrateur n’était pas gay et indonésien, accorderais-je vraiment de l’attention à cette histoire ? Question subsidiaire bien plus importante : pourquoi un récit gay devrait se prémunir d’une originalité plus grande ; pourquoi un récit indonésien ne pourrait-il pas expérimenter les apories de nos désirs, des fins prétendues de notre émancipation.

Pour apprécier pleinement ce livre, peut-être faut-il d’emblée révéler cette anecdote. Elle est d’ailleurs assez révélatrice de l’attitude que l’auteur entretient avec son personnage, un double dépréciatif. Il confesse écrire en anglais, à l’aide de Google Trad. Une pirouette provocatrice n’en doutons pas. Et pourtant révélatrice. Pas inutile peut-être de montrer que l’exigence du style est assez bourgeoise, révélatrice d’une culture, de son bien-être et de sa domination. Le narrateur n’a pas eu la chance de poursuivre une scolarité poussée. Cela n’en fait pas une raison pour qu’il soit épargné par le désir de dire. Insidieusement, on en vient à interroger ce choix d’une langue étrangère. Comme c’est notre seule référence, hélas, en littérature indonésienne, on pense au Buru Quartet où l’importance de la langue, hollandaise ou le malais, de ses différents registres, est centrale. Il faut alors penser l’empêchement sous-jacent : peut-on vraiment raconter son histoire dans sa propre langue, quelle censure dépassée, quels risques ? Notons que toutes les aventures du narrateur sont avec des occidentaux. Soulignons aussi que l’auteur se débrouille pour donner, derrière cette façade d’une littérature mondialisée, cette dose d’exotisme, de termes vernaculaires que le lecteur se croit en droit d’attendre. Nous n’aurons pas de touristique visite de Djakarta. Rien qu’une plongée de ceux qui évoluent en marge du milieu littéraire, survivent d’ailleurs dans des hôtels bon marché prévus pour les routards étrangers. Avec une grande malice, Nuril Basri poursuit ce dialogue entre deux civilisations. Son personnage part en tournée en Angleterre. Un auteur serait censé avoir un point de vue éclairé sur son pays, s’exprimer en spécialiste. Le rat d’égout met en scène un personnage qui jamais ne cherche à se faire plus intelligent, dépasse rarement son propre point de vue, mais interroge ainsi, simplement, ce qu’il vit. Dans sa dernière partie, le roman intéresse vraiment quand il met en œuvre l’illusion d’une écriture à chaud, en direct. Écrire sa vie pour la vivre. Roni rencontre Eliot, une amitié assez ambivalente suit. La séduction ne semble jamais très loin, Roni montre son admirable capacité d’admiration. Quel écrivain n’y serait pas sensible. Le roman joue alors la délicate partition d’un amour qui ne dit pas son nom, d’un éloignement, de la possibilité, qu’importe s’il est inventée, d’une fin heureuse.


Un grand merci aux éditions Perspective Cavalière

Le rat d’égout (trad : Étienne Gomez,154 pages, 18 euros)

Un commentaire sur « Le rat d’égout Nuril Basri »

  1. Pas un mot à retrancher au papier sur « Le rat d’égout », même ressenti et même coup de coeur après deux lectures.
    La rencontre (amoureuse) entre deux cultures radicalement différentes (le bobo parisien et le transfuge d’un album de Jakarta), c’est une tentative réussie de montrer l’universalité, elle aussi radicale, du sentiment amoureux.
    Merci pour cet article !

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