Le bonnet rouge Daniel de Roulet

De l’Histoire comme impossible réparation pour ses invisibles, de la continuité pourtant d’une révolte qui de Genève jusqu’au bagne de Brest poursuit cette compagnie de Suisse qui aurait été à l’origine de ce révolutionnaire bonnet rouge. Dans une prose versifiée, Daniel de Roulet parvient à faire entendre l’enthousiasme républicain de son jeune héros, sa belle nostalgie pour les vents du Léman, sa sauvage répression mais aussi sa symbolique récupération. Le bonnet rouge décrit avec force ce mercenariat contraint, ce basculement dans la Révolution Française de ceux censés la réprimer dont nous apprendrons, à la toute fin de ce joli roman, qu’ils furent la propriété de l’aïeul de l’auteur.

Sans pouvoir juger de la véracité historique de cette affirmation, on a toujours entendu que la nostalgie aurait été inventée par les Suisses, ces compagnies de soldats aux ordres du roi aurait alors été les premiers à ressentir le mal du pays. On aime la manière dont Daniel de Roulet parvient à donner chair ainsi à son héros : il lui invente des amours perdues, de la nostalgie par les différentes dénominations des vents qui agitent le lac Léman. Au départ, nous en reparlerons hélas à propos de Copeau de bois d’Anouck Lejczyk, nous nous sommes interrogés sur la nécessité de cette versification qui n’impose d’emblée pas un rythme, un audible travail sur les sons. On met du temps à percevoir la pudeur de cette versification, sa façon souvent de condenser l’horreur de ce que nous raconte ce roman dont nous ignorions très largement les aspects historiques qu’il dévoile. Tout commence, comme on dit, en 1782, rousseauiste révolution à Genève. Les patriciens ne sauraient tolérer la contamination révolutionnaire. Samuel Bouchaye aperçoit, pour une fois, la joie de son père. Ce coup-ci, ils nous auront pas si facilement. Et pourtant.

Les puissants vous accablent/de leur succès./À leur esclaves,/aux moins fortunés, seule la littérature/rend la parole.

On pourrait prétendre qu’il s’agit d’une thématique contemporaine, on pourrait renvoyer au si fort Mississippi de Sophie G. Lucas. On pourrait aussi rappeler que la micro-histoire n’est pas si nouvelle. Qu’importe. Nos histoires d’amours aussi sont diablement entendues. Une situation presque banale à laquelle la versification donne toute sa force, sa revenance sans doute aussi. Dans les méandres de la révolte, Virginie fait l’épreuve de sa difficile liberté, solitude choisie à cause du mauvais exemple de ses parents. Enceinte de Samuel, elle veut en épouser un autre, un riche que Samuel croit avoir tué. Fuite et engagement dans le régiment Lullin de Châteauvieux. Délicieuse idée. Sans aucun doute l’est-elle pour Daniel de Roulet qui poursuit ainsi sa mise en scène de l’Histoire par ceux qui la subissent. Belle description de l’escouade, de ceux dont il ne restera que le nom dans le grand livre de la chiourne, une trace dans les archives du bagne de Brest. Tous ceux, l’auteur le souligne avec raison qui furent bien plus importants que ceux dont, aujourd’hui encore, les noms de rues, les statues aussi parfois conservent l’imméritée mémoire. Et pourtant le contexte ne sera pas à la soumission, Le bonnet rouge excelle à raconter comment, presque par hasard, presque malgré soi, ce régiment deviendra les héros de la Révolution Française. Un peu malgré eux, ils se trouveront en proie à la juste vindicte populaire. Sept ans plus tôt, ils étaient du côté des Insurgés, ils assistent impuissants à la prise des Tuileries. On le sait, si souvent, l’événement historique est vécue marginalement ; le régiment est évacué. Pas une raison pour ne pas être payé. Comme une rumeur collectivement, bouche fermée, lancée, le régiment demande des comptes, prend en otage leur commandant. Crime de lèse-majesté même dans un contexte révolutionnaire. On pend à tour de bras, on brise les os du soi-disant meneur. Les autres au bagne seront envoyés. Nous ignorions que c’est de là que vient le bonnet phrygien. Avec une ironie puissante, renforcé à mon sens par la versification, Daniel de Roulet met en scène la suite de leur récupération politique. Défendu par Marat, par un banquier suisse qui pense à ses intérêts. « Par bonheur ce vieux monde est derrière eux. » Un dernier mot sur l’épisode historique de New Geneva, une colonie d’horloger suisse, une république insurgée que l’Irlande d’abord voulait accueillir. On aime la colère rentrée de ce court roman, la façon dont sa versification coupe la reconstitution, permet l’exactitude historique pour raconter ceux que la mémoire est censée ne pas garder.


Merci à Héros-Limite pour l’envoi de ce livre.

Le bonnet rouge (155 pages, 18 euros)

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