La diplomate Lucy Fricke

Curieux livre qui oscille entre le récit des aléas diplomatiques et la description précise, comique, d’une femme à la dérive qui parvient ainsi à nous des nouvelles, peu radieuses mais sans résignation, de notre monde contemporain. Pour ce second roman, Lucy Fricke retrouve son goût de l’international dans un roman qui se passe en Uruguay et à Istanbul comme pour mieux réfléchir les fêlures de l’intime, pour livrer une méditation sur nos décisions et responsabilités. Avec une légèreté vraie La diplomate, celle qui seulement suggère les blessures, La diplomate parle surtout des consensus de l’acceptation, cette horrible résignation pour ne pas voir ce qui se passe en Turquie, dans nos vies.

Commencerait-on à fatiguer ? Pour preuve on allait se laisser aller à la bonne vieille scie de la déploration de la rentrée littéraire, surabondance et baisse de niveau. On se passera de telles platitudes pour seulement dire que, pour cette note de lecture, l’écriture accroche. L’impression de me contenter d’une vaste paraphrase qui mal masque un jugement indécis, des phrases qui ne condensent, et décentrent, aucune interprétation. Occasion, alors, peut-être, de parler de ces romans qui laissent incertains, qui fort mal ouvrent à la facilité, laissent un flottement bien plus qu’insatisfaction. Intéressant pour sûr, au moins pour l’interrogation de la résistance de sens comme justification. On s’en sort mal du goût de l’effort. Reprenons, tentons autrement, peut-être n’est-ce que cela qui importe.

La littérature et la diplomatie entretiennent des liens anciens, toujours complexe. Que l’on pense au mirifique et éthylique consul de Lowry ou au détestable attaché parlementaire d’une infatuation documentaire agaçante de Jeu nouveau de Raphaël Meltz. Un peu d’ici transposé dans l’ailleurs, un peu de l’horreur d’une représentation nationale. « C’est à l’étranger que j’étais finalement devenue allemande. » À ce titre, Le diplomate offre d’une efficace causticité sur l’Allemagne contemporaine, sur ses jeux de pouvoirs, sur ce que l’on accepte pour exporter son image. On se sent, parfois, un peu extérieur à la froideur de ses manipulations de pouvoirs. Peut-être parce que les magouilles en cabinets m’indiffèrent. Et pourtant, on se laisse prendre à l’exotisme de l’ailleurs. Celui-là même dont, avec la précision de la cruauté, se moque Lucy Fricke. À quoi sert d’aller dans un pub irlandais, en Uruguay ? Nomadisme photographiable des exploiteurs, l’uniformisation de la mondialisation. Une jeune femme disparaît en Uruguay. Friederike Andermann, occupée à organiser la célébration de la réunification, est chargée de la retrouver. La prose de Fricke, tout en ironie, nous entraîne dans cette vaine poursuite. Persistant sentiment d’absurdité. On se demande quand même un peu où veut en venir l’autrice. Sans doute à suggérer les prémisses d’une chute.

On passe ensuite, dans une apparente absence de continuité, sans doute parce Lucy Fricke y a été invitée en résidence, à Istanbul. De la diplomatie en dictature. Pas bien reluisant. Où l’on apprend, à peine surpris, que l’Allemagne transmet des informations sur ceux que la Turquie pourra transformer en opposants, réduire au silence. Notre diplomate se retrouve en proie à la défense de ressortissants accusés par le régime. Beau et sombre portrait de la Turquie. Face à l’impossibilité de sortie de territoire qu’impose ce gouvernement à un fils ayant eu la bonne idée de participer à une manif de soutien pour les Kurdes, face à une mère artiste emprisonnée pour ses prises de positions, l’autrice parle avec une grande justesse de ceux que l’on empêche de rentrer sur le territoire. La diplomate dénonce à juste titre notre complicité, nos aveuglements. Sans aucun doute fidèle à son héroïne, on peut trouver le récit un rien distancié. Sans doute faut-il comprendre que l’essentiel n’est pas là. À l’instar des Occasions manquées, nous sommes ici dans l’effleurement. Retrouver l’attirance, la possibilité de conduire, celle d’agir pour faire fuir ses compatriotes. Tout ceci avec cette étrangeté radicale que peut, parfois, avoir le quotidien. Un flottement dans lequel on se perd, une sorte d’étrangeté auquel n’échappe pas le roman. Même quand on évoque les souvenirs de l’Allemagne de l’Est, l’incompréhension des interventions étatiques. La diplomatie serait aussi ce dont on ne parle pas, une certaine incompréhension. Ni dans un sens ni dans un autre, il arrive que l’on ne sache pas quoi penser d’un livre.


Merci au Quartanier pour l’envoi de ce roman.

La diplomate (trad : Isabelle Liber, 275 pages, 22 euros, 28 $95)

Un commentaire sur « La diplomate Lucy Fricke »

Laisser un commentaire