Imelda John Herdman

Au cœur trouble du fantastique par les interférences de discours, les versions contradictoires de ces attractions taboues autant qu’indicibles, le tout dans un réjouissant, et schizophrène, pastiche de roman gothique où se succèdent et se contredisent deux narrateurs tout aussi peu fiables. Dans ce roman d’une très belle construction, d’un charme captieux, très souvent troublant, John Herdman conduit le lecteur dans l’ambivalence de nos pulsions, de cet amas de secrets et d’abus, de jalousie et d’inceste que serait la traditionnelle famille anglaise. Imelda est un roman somptueusement malin sur la construction, et sa langue, de la réalité d’une mystérieuse attraction d’un frère pour celle condamné, croit-il, à devenir sa belle-sœur (dont le récit laisse entendre dérangement mental et lucidité), mais aussi un oncle dont on comprend, par petites touches, le caractère infiniment trop protecteur.

On est extrêmement heureux de retrouver John Herdman. Au tout début de notre carnet de lecteur, on se souvient de notre plaisir de découvrir La confession, ses très habiles, et détours, pour explorer les confins d’une réalité qui, dans un récit, résiste. On retrouve dans Imelda ce jeu sur la matière même du récit, sur les réalités contradictoires, empruntées tant il peut ressembler à un pastiche, dont se compose le roman. Si Imelda, en accord avec son sujet, charme tant c’est, précisément par son sens très sûr des atmosphères, de ce qu’elles ont peut-être de sinon déjà vécu au moins de déjà lu. John Herdman se situe aux confins, à la toute fin, comme au moment où il ne semble presque impossible, disons daté comme le sont, paraît-il, les délires et hallucinations de la maladie mentale. Nous sommes dans l’immédiat après seconde guerre mondiale, à la toute fin donc de la respectabilité des nobles familles anglaises, des vieux majors dans des manoirs isolés, des fils oisifs qui se prétendent se passionner pour les papillons. Nous sommes d’emblée plongés dans la version de Frank Agnew. Habilement par un jeu de correspondance, une recherche d’origine puisque la fille d’Imelda voudrait connaître ses parents, nous savons qu’il achève ses jours dans la folie qu’on enferme. Se trompe-t-il pour autant du tout au tout, derrière l’exagération ne se cache-t-il pas une lucidité panique, le pressentiment de ce que l’on ne veut pas voir ? Imelda toujours se situe sur cette ambivalence, sur le trouble qu’elle fait naître et, donc, sur le climat ainsi parfaitement recrée, comme un artifice. La famille Agnew soudain reçoit Imelda, une orpheline, recueilli par son oncle, sir Robert Affleck. Dans la progressive révélation du complexe de supériorité, sa défense malheureuse, de Franck, dans son récit que l’on ne parvient pas toujours à prendre au mot, dont on perçoit exagération et reconstruction, maligne mise en abyme de l’art du roman, naît pourtant une attraction dans tout ce qu’elle a de presque nécessairement ambigu. Les jeux d’enfants, un trio malheureux, car très vite Imelda semble destiné à l’aîné, à celui que Franck couve de sa haine par un portrait rageur souvent assez drôle. Le roman sait alors nous suggérer que rien ne saurait être si simple, la peur et la haine derrière les apparences, la dégueulasserie derrière le désir de respectabilité. Imelda est frappé d’énurésie, Franck noue une fascination étrange pour Restorick, l’homme de main, de Sir Robert, aux poussées connaissances sur l’empoisonnement par les champignons, à la perversion qui s’affiche, aux troubles homosexuelles que Franck projette, devine. Dans ces allures de roman gothique, l’inceste plane sur Imelda.

Est-ce que je prends la pose ? Est-ce que je romance ? Sans aucun doute. Que peut faire d’autre un pauvre fou, enfermé loin du monde depuis sa jeunesse, condamné à s’analyser en vain et pour rien, à perpétuellement se condamner ?

Il ne faut surtout point trop en révéler, laisser au lecteur le plaisir de se laisser prendre à l’incertitude. Franck, qu’Imelda appelle avec une indécidable dose de dérision Superbo est persuadé qu’une idylle contrariée est née entre eux. John Herdman rejoue sur les situations attendues, les inverses ici. Dans les accusations qu’il se porte contre lui-même, Franck ne dit sans doute pas le contraire de la réalité comme, ensuite, la version de Sir Robert ne contredit pas entièrement ses dires. De celui qui s’accuse et de celui qui, tout aussi systématiquement, se dédouane qui peut prétendre détenir la vérité ? John Herdman nous suggère qu’elle sera toujours composite, son dévoilement rythme parfaitement le roman. Il faut souligner que cette perpétuelle dualité est en permanence suggérée, joue d’un joli mélange des genres. Le plus souvent Franck se réfugie dans le sublime, un amour irrésistible, avant de s’attarder dans la plus pure, amusante, vulgarité des fatales troubles gastriques de son frère qui lui aurait dérobé sa promise. On comprend, bien avant que ce soit dit, ce qui fait fuir Imelda. N’en disons pas plus. Il faut vraiment lire Imelda, découvrir les contre-jours de ses atmosphères délétères, sa plongée dans les horreurs d’une famille en apparence parfaitement respectable.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce roman.

Imelda (trad : Maïca Sanconie, 200 pages, 8 euros 50)

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