La confession John Herdman

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Le piège de La confession se révèle d’une malignité confondante. Un rédacteur anonyme, écrivain fantôme possiblement velléitaire, est chargé d’écrire la biographie d’un probable assassin. John Herdman s’avère alors un immense écrivain tant il manie avec ironie l’ambiguïté, l’irrationnel. Bien sûr le confesseur en sait trop, pourrait avoir tout inventé. Insurpassable talent de faire persister le doute qui offrirait un exercice de style vaguement gratuit. Mais la tension narrative de ce magique court roman illustre avant tout la folie partagée qu’est tout récit, toute tentative d’organiser le monde selon l’individualisme de nos impuissantes magies.

Il est des lectures qui opèrent des rencontres et poursuivent l’impression de mener une conversation, pleine de ruse et d’exil, avec le leur auteur. J’ignore tout de John Herdman mais sais être appelé à poursuivre ses autres parutions. Guetter le hasard de rencontre fortuite. Espérer que Quidam continue à traduire l’œuvre de cet écrivain. Mais sans creuser sa biographie dont, pour coller à La confession, j’aime l’effacement. Une ombre de mystère au temps où en deux gestes tout se croit vérifier. Curieusement, cette ignorance concertée m’a également touché pour Eleonore Frey, paru récemment chez le même éditeur, et son En route pour Okshokt. Peut-être à cause d’une diffuse parenté dans la distanciation de la « mise à mort de l’auteur ».

Pour parler de La confession il faut en dévoiler les rouages diaboliques. Désolé de déflorer l’intrigue. Néanmoins, je ne crois pas ses pièges si essentiels. Même si ce roman s’inscrit davantage dans une tradition anglo-saxonne, le lecteur qui en ignore tout sera très vite pénétré par l’impression d’un fin pastiche d’un roman ou d’une nouvelle du XIXème siècle. Le piège n’est pas nouveau. Hasardons même qu’il fonctionne comme une doublure. Leonard Balmain écrivain déchu au point de se nourrir de la lecture de petites annonces accepte de prêter sa plume. Une grande partie de la littérature fantastique porte ce soupçon : il serait impossible de savoir qui écrit le récit mettant en face d’une force qui dépasse l’entendement humain, qui repousse donc les possibilités d’un récit linéaire.

Avec la juste dose de dérision, John Herdman décrit celui qui deviendra un écrivain fantôme et accepte de se transformer en rédacteur anonyme. Ghostwriter, puisque tel est le titre original, date de 1996. L’acmée du post-modernisme dont John Herdman nous livre ici un pastiche puissant. Le post-modernisme m’a toujours paru une imposture. Une manière de défaite critique pour qualifier, de l’extérieur, des écrivains aussi dissemblables que Paul Auster, Ruhsdie ou Thomas Pynchon. Défaite sans doute aussi car il s’agirait de prendre la suite, sans véritablement s’inscrire en faux, d’une modernité mal établie. La vengeance rimbaldienne d’être ironiquement absolument moderne ou celle baudelairienne, spleenétique voire réactionnaire ? Je m’égare. La post-modernité serait à la fin des « grandes suites narratives » une confusion égalisatrice de tous les discours. La confession part des annonces dans les journaux pour aboutir aux peurs millénariste médiévales. Une parodie opérationnelle offre une connaissance intime de l’objet dont elle se moque.

Avant de nous plonger dans la confusion spirituelle où nous entraîne Herdman, un bref mot sur le portrait de l’écrivain tel qu’en lui-même. Balmain se penserait d’abord un génie puis accepterait de rédiger des chroniques tout en se croyant, encore, « intrépide, incorruptible, résolu et indifférent aux flatteries. »  Les choses tournent mal, le critique acerbe s’essouffle. Situation dont votre serviteur ne méconnaît pas la menace. Balmain devient une ombre fantomatique. Un minable manipulateur qui aurait pu organiser cet ultime coup d’éclat : se croire persécuter par ses propres écrits. Du moins ce soupçon provient d’un collègue fielleux.  Une fois mort on peut broder sur la ressemblance entre l’œuvre et son auteur à une production littéraire « fantomatique et immatérielle» reflet bien sûr d’une « indétermination en tant qu’être humain. » N’en disons pas plus mais Herdman parvient à suggérer que la compensation de la frustration, dans la platitude de ses motivations psychologiques, reste une explication crédible. Les spéculations, les interprétations pour relier un fait à l’autre, Balmain le confesse, sont l’essentiel de ce roman. Bien sûr, Herdman suggère que ce soit aussi, peut-être, Torquil Tod qui ait imposé ses variations autour d’un caractère impénétrable. On ne saura jamais qui est le plus fou, qui invente l’autre dans cette folie partagée constamment mis en scène dans La confession.

Une fois que l’on avait cru à l’existence des Satanistes, il était inévitable qu’ils en viennent à exister pour de bon.

Il est une partie du roman de John Herdman qui peut déstabiliser le lecteur. Si la mort de l’auteur (superbement résumé dans ce graffito : Niezstche est mort, signé Dieu) est une réalité avec laquelle tout lecteur se sent à son aise, il semble que le satanisme et son revers catholique soit une réalité qui nous demeure plus étrangère. L’éditeur a eu la bonne idée d’adjoindre une post-face à ce court et dense roman. Jean Berton insiste sur le nécessaire plurilinguisme du roman écossais. Le lecteur sera ainsi confronté à un antique calendrier écossais, une importance accrue de l’onomastique : Léonard déteste son prénom, fantasme-t-il de se prénommer – ça a de la gueule – Torquil et de se nommer Tod – la mort ? Osons, en dépit de notre méconnaissance, nous aventurer dans le contexte écossais avec deux rapprochements arbitraires. D’abord pour ce maintien de l’ambiguïté, cette magie jamais aussi actualisée que lorsqu’elle est antique, il m’a semblé évident de penser à John Burnside tout particulièrement, pour rester dans le sujet, aux Empreintes du diable. D’une façon plus anecdotique, j’ai trouvé assez étrange de voir surgir, dans deux parutions presque contemporaines, le nom d’Alisteir Crowley. La culture populaire écossaise entretiendrait-elle une certaine fascination pour ce sataniste d’opérette. Alan Parks dans Janvier noir l’évoquait aussi comme justification miteuse plus que mythique. Ça ne prouve rien, c’est certain.

Autant parler des liens insidieux tissés par ma précédente lecture du Nécropolis 1209 de Santiago Gamboa. Pas seulement pour signaler une absence de repos dans mes lectures. De l’une à l’autre sans un instant de répit. Elles en viennent à se confondre, à créer une continuité très reconstruite. Ici aussi il s’agit de se demander est-il possible de raconter une existence avec l’âme tourmentée, pour ne pas dire maléfique, des mots. John Herdman semble y parvenir en instituant la haine et la jalousie comme seul ferment de la mise en fiction. Surtout quand elle se plonge dans une vie communautaire qui repose sur l’illusion d’une vie dominée.

Le fonctionnement quotidien de cet établissement était conforme au flou de sa théologie mais atteignait difficilement la hauteur de la splendeur de ses aspirations.

Une partie de La confession est assez déconcertante. Elle concerne l’aspiration à une vie en communauté selon des principes confus d’une spiritualité plutôt folle. Ce thème me paraît avoir peu contaminé le roman français. Je pourrais le prétendre une tradition  anglo-saxonne ne serait-ce que pour renvoyer à un des livres mettant lui aussi en scène cette aspiration post-new-age. Dans le très admirable Fleuve Jonathan Buckley décrivait également la volonté de se soustraire, de se retirer dans un paysage contaminé malgré tout par son cliché d’être peuplé de fantômes

ces collines séculaires avaient leur propre et indéniable pouvoir de guérison, leur permanence massive et leur robustesse bravant avec insolence les terreurs et les obsessions éphémères d’hommes aveuglés, pris dans l’étreinte de plus en plus resserrée de la contingence.

Herdman parodie le mysticisme mais sans jamais facilement se moquer de l’intrusion de l’irrationnel. Le satanisme est un fatras plutôt risible. Il permet à l’auteur pourtant de s’interroger sur notre libre-arbitre. Sans doute est-ce encore-là une tradition écossaise de par son empreinte calviniste. Nous retrouvons ici le post-modernisme et son goût du discours hétérodoxe. La formule est, je crois, de Thomas Pynchon : un écrivain serait un hérétique à sa propre hérésie. Le catholicisme devient ici un contre-discours. Tout comme d’ailleurs la psychanalyse. Pour continuer à refuser l’appui de la vérification factuelle, j’aime à croire inventer, pour le moins détourné, cette psychanalyse en quête du « cri primal » censé nous faire devenir réel. Dans ses différentes strates de la réalité, les gens ne faisaient que s’apitoyer sur eux-mêmes et s’exhiber. Se duper aussi.» Tout l’enjeu de ce roman serait alors, mais toujours en partie et avec un doute irrationnel, de donner réalité à une confession qui cherche à s’incarner.

Hanté par ses terreurs apocalyptiques, Torquil Tod invente, qui sait, un meurtre rituel pour donner un visage  à son omniprésente « vision de la fin de toutes choses {qui} était comparable à une faille profonde et étroite qui parcourait l’ensemble de sa rationalité et menaçait le contrôle rigide de ses émotions. » Herdman se demande alors comment un imaginaire contamine le récit de nos actes. L’infanticide serait une vieille hantise, une obsession historique, une hystérie collective rémanente. Au-delà de l’envoûtement amoureux (pensons ici aux Envoûtés de Gombrowicz dont La confession partage les dédoublements par ressemblances), ce qui captive dans ce roman est la folie à deux, ce qui nous fait croire que nous serions capables de commettre un acte non pas criminel mais irrationnel. Avec beaucoup plus de finesse que Paula Hawkins dans Au fond de l’eau, John Herdman met en scène cette croyance humaine dans sa capacité à faire le mal et à se confronter ainsi à des représentations stéréotypées. Dès lors, la sorcellerie n’a

aucun fondement réel : ce n’était que fantasmes collectifs nés des peurs sociales et des refoulements psychologiques de l’esprit populaire. Toutefois, il convient aussi de mentionner que tout ceci ne permet pas de dire que de tels fantasmes existaient uniquement dans l’esprit des accusateurs, et que les confessions qui en témoignaient étaient nécessairement, ou toujours, extorquées contre leur gré, par la torture ou la pression psychologique. Le fait étrange est que, au contraire, beaucoup de gens se croyaient vraiment capables de telles choses.

La vraie réussite de La confession est la transmission de la culpabilité. Au fond, il importe peu de savoir si Leonard Balmain a tout inventé mais qu’il finisse par se croire capable de l’avoir fait.


Immenses et sincères remerciements aux Éditions Quidam pour cet envoi.

La confession (trad Maïca Sanconie,184 pages, 20 euros)

 

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