Le chœur des lions Györgi Dragomán

Les ombres des magies enfantines, la fugacité, toute musicale, que révèlent les fragiles enchantements capturés dans ces belles nouvelles d’une facture à l’évidence quasi classique. De ces dix-huit nouvelles, outre la musique qui les relie, se dégage une très fine relation de l’enfance, ses liens compliqués à la réalité adulte, celle sans doute dont, habilement, l’auteur dévoile la perte, sa souriante mélancolie surtout. Györgi Dragomán charme avec ce Chœur des lions d’une grande maîtrise dans l’évocation des sentiments, dans notre incapacité à les entendre, dans cette capacité que seule la musique aurait à communiquer leur heureuse dissipation.

On doit commencer toujours commencer par un des plus stupides biais interprétatif qui, hélas, nous rattrape à chaque fois que l’on évoque la littérature hongroise. Voilà longtemps que nous en attendons une vision contemporaine, une représentation, par spéculations et réflexions, de cette situation politique étrange et dérangeante que vit ce pays. Ce serait un biais interprétatif clairement spécieux que de penser que Le chœur des lions évoque le maintenant par ses silences et ellipses, par tout ce qu’il préfère ne pas dire. Il faut souligner que la version hongroise de ce recueil de nouvelles date de 2018, il faut, je crois, simultanément souligner que Györgi Dragomán est né en 1973. D’où notre léger flottement face à cette réalité mise en scène dans ces nouvelles, par l’impression qu’obstinément elle nous parle d’un autre temps. L’ange de Noël et l’ombre du communisme ; refuge d’une évidente fragilité. Abandonnons pourtant cette piste à son insuffisance. Exposons plutôt les variations de notre méthode critique. Dernièrement, surtout quand nous évoquons des recueils de nouvelles, nous avons l’impression de nous livre, un peu, à de la paraphrase. On résume l’intrigue de chaque récit, on prétend ainsi coller au propos, en parler plus précisément quand on trace des rapprochements entre les récits. Un peu de précision, sans doute, ne nuit pas. La musique que fait entendre Györgi Dragomán tiendrait d’abord à un difficile rapport au père, toujours au seuil, me semble-t-il, d’une évocation enfantine qui confisque au fantastique. On peut d’ailleurs se demander si l’impression un rien surannée de ce recueil ne tient pas précisément à ce fantastique, à cette tradition qui beaucoup doit au régressif. Une façon pour l’auteur de souligner les cruautés des enchantements enfantins. Le recueil s’ouvre ainsi sur la nouvelle « L’archet de fer » où un père torture son fils pour le faire devenir violoniste. Le basculement dans l’excès, dans l’ordre d’une réalité autre est ici assez finement suggéré. L’ombre d’un violoniste noir, d’un ennemi à dépasser, quitte à aller regarder les étoiles au fond d’un puits. Une beauté un rien tragique. Douloureux apprentissage que l’on retrouve dans « Karciska » : ou l’apprentissage du mensonge. La seconde nouvelle, « Cry me a river » reprend le motif musical avec une grande évidence, une belle sensibilité dirait-on si l’expression n’était à ce point consacré. « Oui, c’est de cela que parle la musique, de la douleur qui se dissipe. » Sans être d’une immense originalité, comme la musique dont elle s’inspire, la nouvelle fait entendre le blues, ce déchirement avec lequel on doit composer. On la voit d’ailleurs très bien, la composition, par ce lien avec le blues de cette troisième nouvelle, « Le balai » où un batteur sans fin évoque ses succès enfuis, le balai de batterie que sa femme lui a volé. Györgi Dragomán montre alors que le fantastique a aussi sa part comique. Comme le narrateur, qui à la lumineuse idée de conseiller à son père d’employer un taser pour feindre un AVC, attendrir son ex-femme, on ne sait pas si nous devons rire ou pleurer. On penserait alors à Où va la chanson de SébastienMénestrier si le recueil poursuivait ainsi sa très grande unité thématique. Heureusement, me semble-t-il, ce motif devient plus discret et laisse place à la transmission d’une émotion si difficile, dit-on, à partager. Ce qui nous y ramène est souvent un détail anodin, souvent l’illustration d’une perte : un homme entend une protestation, une chanson, sur la Puerta del Sol, il se souvient de son départ et le personnage (n’est-ce pas aussi cela la musique?) « au lieu de se sentir libéré, eut le sentiment d’avoir à jamais perdu quelque chose. » Nous ne saurions, entièrement, conclure que c’est cette perte qu’illustre ensuite la musique de l’enfance que pourchassent les autres nouvelles. Deux très courtes nouvelles, « L’argent familial » et « La frontière » poursuive cette veine fantastique, irréelle presque par précision, de cette perte. Elles sont assez convaincantes. Tant, et peut-être est-ce aussi cela que veut approcher Le chœur des lions : aussi douloureux soit-il, tout passage recèle un espoir. L’enfance, est-ce autre chose ? La magie derrière la cruauté des enchantements. La nouvelle, « La soupe à la viande » dit tout ceci, la distance, les liens compliqués entre les adultes, la violence de l’éducation et le silence sur ses absences. La suggestion surtout. Nous n’épuiserons pas ainsi tous les récits. On aime y sentir ce que l’on peut, un peu, deviner comme un réussi exercice de style, une tentative pour envisager différents univers, différentes façons de les raconter. Des séparations par des parenthèses pour évoquer différents thèmes, des bêtises d’un gamin aux inventions d’un grand-père. Une jolie vision enchantée de l’enfance.


Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce livre.

Le choeur des lions (trad : Joëlle Dufeuilly, 218 pages, 21 euros)

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