Vine Street Dominic Nolan

Les fantômes de Soho, des meurtres dans les années trente et jusque sous le Blitz, une poisseuse atmosphère merveilleusement restituée dans le Londres des bars à pute, des flics corrompus au grand cœur.Vine street plonge son lecteur, en dehors de cette poursuite du retors Brigadier (qui forme, dans ses manipulations, violences et usurpations d’identité, une intrigue rythmée), dans les méandres des pensées et violences de Leon Geats, son protagoniste ambivalent et obsédé. Sur la trace des plus grands, Dominic Nolan trouve son chemin sans doute par une fine, féminine, interrogation de son déploiement de violence et surtout de tout ce qu’elle ne justifie pas.

Commençons par évoquer ce beau polar par un nom qui, à tort pour nous, revient si souvent dans son évocation : James Ellroy. Le premier a le dire a sans doute été Ian Rankin. Le rapprochement nous paraît facile. Désormais, dès qu’un écrivain de romans noirs se mêlera d’Histoire, le fera dans une intrigue sinon complexe, mais avec pléthore de personnages, avec pas mal de noirceur, immanquablement on lui accolera le nom d’Ellroy. Dommage. Dominic Nolan reprend l’inspecteur corrompu, errant dans les rues de Londres, frayant avec les voyous, connaissant les putes, mais surtout, grande différence, les habitants anonymes, ordinaires. Jamais ne semble-t-il nous n’avons ce qui, de temps à autre, finit par fort ressembler à du cynisme, à cette résignation au Mal qui font que les personnages se ressemblent, semblent adhérer au racisme et à la violence qui, de loin, trop aisément, caractériserait ce romancier. Il nous fera revenir sur la tendresse dont si souvent fait preuve Vine Street. Nous ne pouvons nous plus totalement croire à ce rapprochement aussi pour la décisive question de l’écriture : Ellroy travaille le son de sa langue, parfois jusqu’à la caricature ; l’écriture de Dominic Nolan est, elle, tendue vers l’efficacité, une simplicité pas toujours malvenue.

J’ai besoin de quelqu’un à mon côté, mon meilleur ami. J’ai besoin de ta dévotion aux petites choses de la vie, parce qu’elles sont ce dont nos journées sont faites. Et qu’avons-nous, sinon, précisément… des journées ? Les enfiler comme sur collier et en faire une existence. Peux-tu faire ça pour nous ?

Tentons plutôt, nettement moins facile, de dire ce qui fait la spécificité de Vine Street. On commence par la fin : un inspecteur agonisant, deux corps retrouvés, une femme qui tente de faire diversion. Un joli et trompeur prologue, on mettra du temps à recoller les morceaux, à remonter cette histoire qui va s’étendre de 2002 à 1935. Tout le roman, à notre sens, tiendra par une question de climat, dans une reconstitution qui évite, majoritairement, le descriptif. Des très courts chapitres, toujours finement dialogué, respectueux de l’évolution temporelle du langage sans chercher à faire entendre une datation. Sur plus de 600 pages, Dominic Nolan nous fera entendre sa discrète musique, la manière surtout dont elle fera toujours avancer son intrigue, la vision politique dont elle est porteuse. Une pute est tuée. Leon Geats retrouve sa fille, un joli attachement va naître. Une obsession aussi. Jamais Dominic Nolan ne la justifiera. Une solitude, un mal-être, une façon d’être paumé, de hanter les rues, de quêter du sens. La vie de tout un quartier, le revers du monde de la nuit. Ça marche toujours dans un polar qui ne cesse d’interroger nos fascinations, qui va s’embarquer dans les aléas des procédures d’une enquête. On fait très moyennement confiance à Geats, ses collègues (et pour cause) le déteste. On lui adjoint l’inspecteur Cassar qui sait très visiblement profiter de ses enquêtes, Billie une agente de police les accompagnera. Étrange et sympathique trio, les deux hommes plongeront dans ce monde que l’on disait interlope. Le jazz, les communistes et les homosexuels, les fachos hélas aussi. Dominic Nolan sait nous faire sentir l’odeur, pas bien fraîche mais captivante, de ces années. Les meurtres reprennent, Geats trouve de curieux soutiens qui, derrière des histoires d’espions, serviront au romancier de deus ex machina. On se laisse vraiment prendre, sans doute par l’empathie dont fait montre Dominic Nolan pour ses personnages. Au hasard la mère alcoolique de Geats. Là où, pour moi, Vine Street va toucher particulièrement juste ce sera dans son évocation de la seconde guerre mondiale. Londres sous les bombardements, on retrouve d’autres corps. On entend de plus en plus le désespoir de l’enquêteur, ses solutions radicales, le joli suspens qu’elles induisent. Il me semble que Vine Street, de manière explicite dans son dénouement, va interroger l’inutile individualisme dans lequel trop souvent se réfugier le polar, cette croyance dans l’héroïsme, dans la validité d’une résolution violente de meurtre qui, peut-être, pour les victimes ne change rien, à tout au moins un poids incertain dans le contexte choisi par Dominic Nolan. Il faut découvrir Vine Street.


Un grand merci aux éditions Rivages Noir pour l’envoi de ce roman.

Vine street (trad : Bernard Turle, 670 pages, 24 euros 90)

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