Des larmes de crocodile Mercedes Rosende

Poursuite des aventures échevelées, vengeresses, d’Úrsua López qui, cette fois, s’embarque dans un braquage pour tromper son ennui et sa boulimie, pour penser se changer dans un miracle qui, bien sûr, tarde à venir et entraîne une série de comiques catastrophes. Au-delà de sa dingue drôlerie, du rythme de ce plan foireux et de ces prévisibles ratages, Des larmes de crocodiles brille par son inventivité narrative, ses discrets écarts et surtout l’ironique précision qu’ils permettent. Mercedes Rosende nous propose une belle plongée dans le Montevideo de la pègre, sa langue et ses avocats marron.

On retrouve avec délectation, après L’autre femme (à redécouvrir dans la collection poche de Quidam), Mercedes Rosende qui reprend, là où elle les avait arrêtées, les aventures d’Úrsula López : dans la frustration, dans l’impression que le monde lui doit quelque chose, qu’elle doit trouver une façon de retrouver cet argent qu’elle aurait dû empocher grâce à sa rocambolesque, ratée, hasardeuse usurpation d’identité. On y retrouve cette atmosphère d’heureuse invraisemblance, ce sens du détail et de l’incarnation qui fonde le polar, la possibilité de son rythme même. On pencherait, d’abord, par un travail sur l’oralité. Les dialogues, heureusement à notre goût son assez rares, sans doute par la traduction sans insistance, sans recréation de grotesques accents, de Marianne Millon, on entend la voix de chaque personnage ou plus exactement les mensonges qu’il se raconte comme pour exister, pour survivre aussi. Des larmes de crocodile parvient assez admirablement à planter ses personnages par une grande acuité dans le détail. Nous avons d’abord l’ignoble, très catholique, Antinucci et sa fascination pour le cuir, les clopes, l’ordre malgré les crimes qu’il commandite sans scrupule aucun. Comme dans tout bon roman noir, nous devons aussi avoir une victime, un brave type qui va payer pour tous les autres, un homme de paille qui, comme dans L’autre femme, sera représenté par Germán toujours plus terrorisé par ce Roto qui, lui, veut se venger. Nous retrouvons ainsi Úrsula et les crimes anciens que les circonstances font remonter. Pour ne pas trop donner l’impression de résumé ce livre, il faut aussi parle de son inspectrice, Leonilda Lima et son désir de trouver sa place, de sortir des vexations masculines imposées par ses chefs. Tout ce joli monde, ce carrefour de névroses, va se croiser et s’entrechoquer. Pas seulement parce que, tous, ils croiseront la route d’Úrsula. Nous concevons toujours une légère réserve sur le traitement de la boulimie du personnage ; rire de troubles alimentaires paraît en effet douteux. On le comprend cependant assez bien, sans doute s’agit-il pour Mercedes Rosende de ne pas céder à l’usuel d’une femme forte, résiliente pourquoi pas si on se laisse prendre à l’idiot libéralisme de la psychologie dominante.

Une coquille se brise, je sais : enfin je ne serai plus moi.

On pourrait poursuivre ainsi : l’autrice parvient, pourtant, à donner voix à ses obsessions. Ce sera le premier écart à cette narration, au présent, très tendue. Úrsula continue son dialogue avec son père, mort. Une respiration pour accroître le suspens, pour revenir, non sans ironie croyons-nous, sur les enfermements du passé, la radicalité des vengeances qu’Úrsula par médicaments ou preuves opportunes a déjà mise en œuvre. On veut y lire une représentation de l’ambivalence de la justification de nos gestes, une manière pour Mercedes Rosende d’arracher la participation du lecteur. Elle le fait d’ailleurs par un écart, nous ne saurions dire, une innovation, d’une narration sautant, parfois, à la première personne du pluriel. Surtout quand il s’agit de combler, illusoirement bien sûr, les manques du récit. Étrangement, si l’on veut, pointer les conventions revient à accroître l’incarnation de l’invraisemblable imbroglio dans lequel Des larmes de crocodile entraîne le lecteur. Nous ne dirons rien de cet épique braquage, de son dénouement qui appelle une suite afin de clore cette belle trilogie sur la folie de nos ordinaires névroses.


Un grand merci aux éditions Quidam pour l’envoi de ce roman.

Des larmes de crocodile (trad : Marianne Millon, 253 pages, 20 euros)

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