Casca la couronnée Quentin Leclerc

Rapide récit d’aventure, quête pluriel de nos aspirations enfouies, que nos désirs de trouver un refuge et/ou cette sincérité de l’amitié, de l’expression de nos joies. Même si on s’interroge sur la nostalgie mercantile qui anime le roman, si on est très loin d’en saisir les références, Casca la couronnée entraîne dans une aventure tressautante, dans une appropriation de l’univers du jeu vidéo, de son merveilleux et de ses légendes comme de ses saisissants raccourcis, presque des micro-fictions, convergeant vers une initiation, une délivrance et une réunion de ce qui distingue et détruit, cette couronne dont l’héroïne, Casca, se trouve récipiendaire. Quentin Leclerc captive son lecteur par son écriture lapidaire, toujours à hauteur du personnage, dans une folle aventure qui serait aussi une tentative d’écriture de nos mythes contemporains.

Avec sans doute un peu de sècheresse, une volonté de faire cours pour ne pas nous attarder sur tout ce qui nous embarrassait, nous avions déjà souligné ce qui nous gênait dans Rivage au rapport. Dans ce qui se présente comme une suite autonome, tout à fait lisible si vous n’avez pas lu Rivage au rapport, on retrouve ce que je ne peux me hasarder à qualifier de défaut, disons plutôt de tenaces réticences, productives cependant en cela qu’elles maintiennent ouvertes mes interrogations. L’écriture de Quentin Leclerc est lapidaire, elle induit une tension passionnante, de très belles ellipses entre ces très courts paragraphes toujours joliment condensés dans l’extériorité du geste. Cependant, toujours en écho à une mythologie contemporaine dont elle veut rendre compte, elle s’inscrit toujours dans l’importance de l’objet dont les références, les marques, la rapidité avec laquelle elles se démodent, voire laissent paraître une nostalgie dont je n’ai toujours pas bien compris l’attrait. Pire le discours idéologique, au sens qu’il met en scène une domination mercantile, occulte une réalité sociologique. À lire Casca la couronnée, on est contraint d’atteindre à quel point ces objets des années 90-2000, ceux de l’adolescence de l’auteur, ceux dont il voudrait faire marque d’une mémoire collective sont, comme on dit, mainstream, révèle un imaginaire dit majoritaire où qui cherche à s’imposer comme tel, celui, dans un honteux raccourcis, qu’il faut bien entendre comme celui d’une classe moyenne supérieure, pavillonnaire, susceptible de s’acheter les meilleurs téléphones, consoles : les plus coûteuses dépendances capitalistes. Néanmoins, ne soyons pas injustes, ne cédons pas aux facilités de la critique à charge. Les toujours impeccables éditions de L’ogre, le souligne : eux-mêmes n’ont environ que 20 pour cent des références. Je pense en avoir saisi seulement 2 pour cent et encore seulement compris, jamais véritablement ressenti. Jamais rien compris au Pokémon, à l’univers du jeu vidéo. Toujours, si cela explique ma remarque sociologique, eut le sentiment d’en avoir été financièrement exclu, éloigné aussi par une éducation livresque, contestataire, faussement intempestive. Notons quand même la curieuse résurgence du terme normal et celui de meilleure qui laissent entendre une normalisation compétitive dans laquelle je souhaite peu me mirer. On arrive alors cependant ainsi à une question plus intéressante : non tant de savoir à qui s’adresse ce roman puisque l’on peut, nous allons le voir, l’apprécier sans en maîtriser les codes, mais bien cette rapidité à laquelle radicalement se confie Casca la couronnée. Ce serait je crois l’ambition de Quentin Leclerc : dire l’instant avant qu’il ne s’enfuie, sa saveur et matérialité, son évanouissement. Une rapidité qui se moque, peut-on penser, de s’inscrire dans la durée, semble accepter (toujours avec une certaine angoisse) sa péremption. D’où une écriture obstinément au présent, radicalement dans l’énoncé des faits comme pour pouvoir passer à autre chose.

Restons-en là sur cette nostalgie matérielle pour entrer dans le roman, sur l’angoisse, la perception de l’isolement qui animent Casca la couronnée, sur ce qui, aussi, tentera d’y répondre, de proposer un refuge. À l’instar de Rivage au rapport, nous ne parvenons à nous détacher du vide qui émane de chaque personnage. Ici on peut pourtant entendre tout ce qui servira à tenter de le combler. Aucunement, il ne nous appartient de juger les stratégies de chacun pour y parvenir. Casca travaille dans un golf, après le massacre, la disparition, qui clôturait, Rivage au rapport, elle hérite d’un sac plein de billets et d’une couronne. Elle sera dès lors poursuivie par une curieuse organisation répondant au beau nom de La brigade fantôme. Si nous pouvons tenter une hypothèse, nous entrons ici dans la construction même du roman. Après le roman policier dans Rivage au rapport, Quentin Leclerc s’empare du récit d’aventure. Une des réponses à ce que l’on nomme, dans un sens expansif (est-ce utile de préciser de se référer ici à mon essai Un vide, en Soi) ce sera comme une épreuve de l’amitié, la possibilité d’une sincérité qui s’y effleure et, bien sûr, s’y trahit. Peut-être pas tant le désir d’un sens que celui de le partager, de ce souvenir de l’exaltation des étapes du déchiffrement, des successives illuminations où instant il paraissait s’éclairer. Casca, donc, se retrouvera porteuse d’une relique, déchirée dans la guerre entre deux anciens amis, Vega et Tim qui veulent les accaparer ou les préserver. Dans un récit initiatique, dans un univers entre le jeu de rôle et, pour ce que j’en sais, le jeu vidéo, il s’agirait d’accéder à une présence supérieure, ésotérique. Un roi, un sens malgré tout supérieur. Nous avons dit tout ceci sans avoir l’occasion d’évoquer la folle fantaisie de Casca la couronnée. Si le roman tient, captive même, c’est par l’imagination et son sens du rythme dont fait toujours preuve Quentin Leclerc. Sans doute le vrai sens de son écriture minimaliste : nous faire accéder à une succession de tableaux improbables, nous faire entrer totalement dans un univers romanesque pour moi radicalement inédit. Casca, si nous tentons encore de nous centrer sur le roman, sera alors accompagné d’Upamecano, l’ancien gardien de la couronne qui va l’aider, qui est une sorte d’armure animée. Notons aussi son amitié avec Trish, sa colocataire qui l’accompagnera dans sa folle quête. Un bel humour parfois qualifie cette réalité totale dans laquelle nous voilà plonger. Cette petite bande va acheter des vélos pour aller sur la banquise. Au fond, on pourrait penser ceci : il s’agit peut-être ici de retrouver le plaisir des gosses quand ils jouent, quand ils font comme si, quand cela devient la seule réalité suffisante. La petite bande, après d’inénarrables aventures, connaîtra sa catabase, une manière d’exploration des enfers que Quentin Leclerc nomme joliment, espaces liminaires. C’est déroutant, surprenant, cela dessine toujours un imaginaire dans lequel il est si facile de se laisser porter. Un peu, j’imagine, comme les niveaux d’un jeu vidéo, il faut retrouver un légo, le compléter pour pouvoir progresser dans un autre cercle, approcher pourrait-on croire à une forme autre de compréhension. On retrouve avec plaisir cette idée d’aura, cette expression profonde de ce que l’on serait, cette naïve sincérité dont il faudrait faire preuve pour enfin la percevoir. Alors, certes, on en interroge la linéarité, ce progrès qui viendrait de l’effort, on en questionne aussi les points aveugles (la sexualité, l’attrait érotique) de cette toujours très curieuse expérience de lecture.


Un grand merci aux éditions de L’ogre pour l’envoi de ce livre.

Casca la couronnée (395 pages, 23 euros)

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