Ni se nommer Stéphane Lambert


Au miroir de la peinture, au reflet des spéculations qu’elle inspire, au détour du sens comme pour creuser le langage, ses suggestions et finalités. Tournoyant autour de quelques peintres (Friederich, Géricault) et à d’autres visions (architecturale ou, disons, spirituel) Stéphane Lambert fait de chaque page une toile : ombres et lumières, silences et déchirements, flottantes et saisissantes interprétations où l’exégèse se fait présence. Ni se nommer est un recueil qui, visiblement, dédouble le monde pour en interroger le sens.


Reçu en même temps qu’Os cuillère de Laurence Skivée, Ni se nommer a mis un peu de temps à trouver son chemin. À sa lecture, peut-être même encore maintenant, s’il fallait s’en tenir au plus près de mon ressenti, il m’a procuré unrien d’incertitude, un peu de flottement comme se doit, je crois, de susciter une poésie spéculative. J’allais presque écrire intellectualisante, ce qui ne rendrait pas état du sensible que, si souvent, Stéphane Lambert, approche. Pour éviter le jugement de valeur, sans doute que ce flottement, cette adhésion en demi teintes tient au fait que quelques références me demeurent éloignées plutôt qu’étrangères. De ma faute bien sûr, mais le saisissement pictural ne se commande pas. Ne parlons point trop de ce que mal je connais, restituons toujours ce qui me parle. Vous remarquerez, au passage, la peu légère autopromotion. Dans L’épreuve de l’individu, j’ai tenté de figurer le lamento romantique, l’incarnation du paysage comme état d’âme, sa perception qui en inventait, par les personnages au premier plan, le seuil que si bien peignait Caspar David Friedrich. Bien mieux que moi, sans avoir à véritablement le nommer, à le limiter, Stéphane Lambert ainsi le dit : « paysage/où se défaire/de l’ordre de soi ». Contemplation de ce qu’il appelle, fort justement, « outre-monde », ce « lieu inconnu où finissent les mots » que le poète, visiblement, ne cesse de traquer. « Un fragment/une totalité » comme si la peinture, son évocation poétique pleine de silences et de blancs typographique enfin parvenait à « donner/une impression au flou. » Le flottement pictural des toiles de Caspar David Friedrich, des rêveries, les consciences contemplatives qu’il nous y arrive d’y croiser. On voit je crois, dans le motif de la nuit « s’incarnant/dans la pénombre/du regard », les tableaux de ce grand peintre. Sans vouloir à toute force réunir, forcer l’interprétation de cette poésie fragmentaire, on voudrait faire entendre l’hypotypose, cette capacité poétique de donner à voir, que forment ces deux extraits, sur deux pages distantes, l’ombre du peintre que l’on y devine : « tempête assourdie/silhouette tombeaux/âpre nord » et, un peu plus loin : « les arbres morts/les cathédrales de nuages/les images linceuls. »


Pour continuer à explorer cette poursuite des possibles et impossibles du langage, ses outre-passements dans l’image, ses dédoublements dans celle d’autres artistes, on continuera dans la honteuse réclame de mes maigres essais. Lire, n’est sans doute, à la fin, que tenter de comprendre ce que, si mal, nous avons tenté d’exprimer. Dans Un vide, en Soi (je vous avais prévenu), je faisais référence à ce poème de Daumal où quand il parlait de D.I.E.U, il l’épelait comme un Désir Imbécile d’Éclairage Universel. Je ne suis pas certain que ce soit à cela que Stéphane Lambert face référence dans son premier poème, plutôt une suite de poèmes, chapitre ou séquence, D.I.E.U, donc. Il met dans ce mot, dans une vision assez intellectuelle, la racine du langage, la source de toutes les énigmes : « ce mot/ est-ce/le fond/inanimé/de l’âme/ou l’invention/ d’un cœur ». On ne se prononcera pas. On préféra avancer, dans le doute, ceci : Stéphane Lambert semble déjouer la possibilité, l’usée incarnation, du poète démiurge qui, en nommant, les choses invente une cosmogonie. Dans une hypothèse un peu osée, il me semble que l’auteur fait d’avantage référence à ce qui existe, aux dédoublements artistiques pour se détourner d’une création ex nihilo. Sans doute suis-je partie un peu loin. Mais sans doute est-ce à quoi nous invite Ni se nommer  comme il le suggérera dans un autre poème, dans une disposition des vers en escalier : « inlassablement/tourner/retourner/le sens ». Regarder, rêver : réfléchir.


Merci aux éditions La lettre volée pour l’envoi de ce livre

Ni se nommer (55 pages 14 euros)

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