Os cuillère Laurence Skivée

Des pages, des poèmes qui font tourbillonner la mâche de cette langue, les fétiches et les ossuaires, les enfances et artefacts, pour soudain, dans un très joli jeu typographiques, par ses blancs et décalages, laisse surgir la nudité de ses sensations, le creusement, à la cuillère, de nos perceptions et de leur intranquillité. Évidence et beauté, mouvement et fixation de l’instant, mystère surtout de cet Os cuillère qui tant m’a parlé que je ne sais qu’en dire. Laurence Skivée poursuit sa traversée, sa patiente écoute, avant tout sa poésie, pour l’exprimer trop simplement, comme expérience vécue, patient recueillement des silences et de ce qui en subsiste.

Peut-être l’avez-vous, ce carnet de lecteur, tente de plus en plus de timides incursions dans le domaine poétique. Pour le moment, nous ne pouvons que nous en féliciter, juste un petit regret de n’avoir pas le temps (le courage de le prendre), pour parler, tenter d’ainsi démêler, mes influences premières. Un peu trop occupé, sans doute, par l’annonce de la publication de mon essai L’épreuve de l’individu, confions l’impression de peiner en ce moment à trouver mes mots. Laurence Skivée m’excusera, j’espère, mes maladresses et intuitions. Si nous nous réjouissons de parler de poésie, c’est sans doute pour y retrouver cette impression (le roman quand il se suffit à lui-même) peut aussi le fournir : tout ce que l’on parviendra à dire sera paraphrase, pesants ajouts. Conservons, au moins pour nous-mêmes, cet intangible d’un recueil qui nous a parlé. « la lumière et l’obscurité/dansent dans notre œil. » Pleine page, en plein milieu. Puisqu’il faut se livrer au commentaire, je crois que nous pouvons le dire ainsi : Os cuillère d’abord nous fait entendre des silences. À l’instar du Laveur de vitre, il me semble que c’est ceci la part autobiographique, l’implication de l’autrice, les biographèmes pour emprunter le terme à la préface de Tristan Sautier, que nous rend sensible ce beau recueil. Ce qui continue à me hanter reste la radicale irrésolution que nous fait entendre Laurence Skivée. « On touche à quelque chose/dans l’envers invisible/prise d’un éternuement de langue/d’une démarche blanche. » Une honte de citer ainsi ce poème, le lecteur ira voir, n’en doutons pas, le sens ajouté par sa disposition typographique qui donne à voir cet éternuement de langue (quelle belle formule) sa spontanéité irrésistible, mimétique aussi. Une sorte de blancheur tant il me semble que c’est du vide que, sans cesse, s’élance Os cuillère. On comprendra, après « mon » Un vide, en Soi, à quel point cette démarche me parle. Elle pourrait aussi renvoyée au très beau, et très complexe, Improsion Exprosion d’Olivier Mellano.

Je veux rester pour voir/les errances/de mes erreurs/(souvenirs oubliés)/c’est vrai

On le répète, la versification de Laurence Skivée, assez admirablement, découpe autrement silence et le sens qui en découle. On aime vraiment comment chez Laurence Skivée la présence de l’autre dessine une incertaine continuité narrative. Le langage est tambouille enfantine, selon le cliché le poète serait celui qui fait parler son enfance, se place dans le perpétuel resurgissement du langage. « regarder la phrase/écouter// cela nous permet d’aller/plus loin// c’est délicat. » Os cuillère fait alors entendre une manière de dialogue tacite, une autre forme d’absence et de silence dont doit se lancer la parole. Une fausse piste, tout aussi bien. « Il faut bien risquer/plonger dans l’étonnement. » Laurence Skivée, discrètement, se place «  à la frontière de l’audace » et, comme un mirage qui s’efface : « les mots basculent/(c’est une phrase murmurée) ». Un susurrement, une voix taiseuse qui nous parle on l’a dit, dans toute sa fragilité, son émotion rentrée, sa traversée des doutes. Lisez Laurence Skivée.


Un grand merci à La lettre volée pour l’envoi de ce recueil.

Os cuillère (50 pages, 14 euros)

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