Mailman J. Robert Lennon

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L’épopée d’un postier telle est l’ambition affichée par J Robert Lennon. Mailman, dans une prose truculente, nous livre le point de vue singulier d’un homme atrabilaire dont le cœur s’échappe de lui après avoir trop longtemps retenu un courrier. Une fresque amusante.

Les déambulations d’un héros persécutés par ses maladresses et les réactions suscitées par son inadaptation sont un recours narratif souvent utilisé. Lennon lui donne ici ses lettres de noblesse. Normal pour un facteur. À mon sens le vrai charme de ce roman est de briser la linéarité d’un récit où les mauvais choix s’enchaînent avec une logique infernale.

Albert Linppincott, dit, Mailman, a un long passé de choix malencontreux et comiques. Peut-être que le procédé tourne un peu au systématisme. Sur le papier seulement. Lennon parvient à ne pas lasser son lecteur par les tribulations de ce postier pervers et paumé. Sans doute d’abord grâce à l’unité narrative de placer l’essentiel du récit sous le signe de la manipulation postale. Une manière pour Lennon de varier les points de vue et d’opérer surtout des allers-retours dans la vie de ce pauvre facteur.

La fascination pour le courrier, retenu ou détourné davantage que distribuer, forme un motif qui évite toute platitude psychologique. Les ennuis de Mailman commence par une lettre de dénonciation écrite pour se venger d’une humiliation infligée par l’un de ses professeurs. L’ensemble de la scène est du plus haut comique. Physique, grossier et embarrassant comme le sont les farces.  Une truculences dont ne se départit d’ailleurs jamais Lennon. C’est cette insistance sur le « bas matériel grossier », comme disait l’autre, qui laisse entendre l’étendue du dérangement de ce postier banal.

Avec une vraie réticence, une partie des flashback de Linnicott sont le résultat de sa remémoration des séances chez un psy imposé à sa hiérarchie. Mailman, sans s’en sentir affecté, confesse ses crises psychiatriques. À cause d’une lettre bien sûr. Cette histoire avec un digne prof de fac, un imposteur vulgarisateur, est hilarante et douloureuse. À l’image de l’épisode douloureux à laquelle elle donne lieu. Albert connaît le sursaut d’une illumination. Enfin, il tient une explication complète. Lennon rend finement le basculement dans la folie et les explications logiques opposées par celui la subissant. La dernière partie du roman montre une aliénation morne, voire déprimante comme peu finit par le paraître Mailman.

Une partie des romans s’attache à des personnages ridicules, s’en moque aisément et se complaît dans le cynisme du pauvre type prétendument ordinaire. Un soupçon qui, parfois, affleure à la lecture de Mailman. Depuis un moment, je me demande s’il ne s’agirait pas d’une lecture masculine. Pleine de désirs et surtout de frustration ; haine de soi et fantasme de grandeur. Je sais pas trop. Le plus gênant serait la contrepartie d’une écriture féminine qui ne saurait en être l’exact inverse. Une façon d’éluder le problème le problème est de qualifier cette littérature pleine de frustrations esseulées d’adolescente. Mais Mailman a cinquante-sept ans, un esprit maniaque et un respect un peu risible de l’ordre. Une façon de ranger son quotidien afin de ne pas en voir la déraison.

Au-delà de ces dichotomies au fond absurde, souvent ma lecture se laisse aller à la facilité d’une empathie crue obligatoire avec les protagonistes. Pas aisé avec Mailman. Pourtant cela me renvoie à une autre piste d’interprétation dont ce carnet de lecture fait timidement l’essai :  le roman comme lieu d’élaboration d’une identité à soi. Et de cela, Mailman rend compte avec un certain talent.

Un personnage aussi peu attachant que ce postier finit par imposer la reconnaissance par son long monologue intérieur. Une cohérence forcée, une attention au détail, un aveuglement sur soi. Des description d’une façon de s’essuyer héritée du souvenir d’une jeune fille orthodoxe. Une intimité dénudée, pesante, absurde mais impossible de s’en détacher.

La longueur de se livre, concentré sur plusieurs jours mais en voyage jusqu’au Kazakhstan, offre, in fine, une allure d’épopée à ce roman. Avec un peu moins d’insistance que dans Karoo, lui aussi superbement édité par Monsieur Toussaint Louverture.

Vue de loin, pourtant, cette démarche était empreinte d’une certaine sensibilité, tout au moins jusqu’au matin, où il se réveillait avec l’impression de n’être qu’un tas de boue un jour d’été torride.

L’auto-justification à laquelle se livre à tout instant le héros se dote alors d’une ombre d’héroïsme  par cette façon dont Lennon le constitue ainsi comme une façon de construire son personnage quand il s’interroge sur les fictions qui le constitue. Linicot finit par être accusé de tous ses méfaits. Il leur trouve d’inventives justifications. La plus importante, pour excuser le fait d’avoir été surpris à se tripoter dans une bibliothèque, est de montrer sa préférence pour ses fantasmes plutôt que pour leur réalité rétrospective.

Un narrateur peu fiable qui raconte une histoire pleine d’arrangements et d’omissions n’est pas un procédé bien neuf. Mailman l’utilise avec intelligence. Il s’agit d’une façon de revenir sur le passé de ce protagoniste, d’hasarder de nouvelles explications à son comportement aléatoire. La psychanalyse intervient avec ironie : dans une caricature de scène originel, Mailman raconte comment il fut surpris par sa mère, l’unique autre fois où il s’est masturbé. En pensant à sœur, bien sûr, afin que la polymorphe perversion enfantine soit parachevée. Une scène purement fantasmatique. À l’image de celle où le facteur trouve une explication de son destin de facteur dans une question parodique : sa mère s’envoyait-elle le facteur ?

Lennon suggère, forcément, que Mailman refoule cette explication certes mécanique. Il préfère s’intéresser à la façon dont son héros est fasciné par le double virtuelle et pornographique de celle qui fut sa maîtresse lors de sa peu glorieuse expédition bénévole au Kazakhstan. Pour arrivée à ce type de constat d’une folle lucidité :

son train-train quotidien (un train-train tellement régit par l’idée qu’il se faisait de lui-même, qu’il avait fini par la confondre avec ce qu’il était vraiment) n’avait jamais autant déraillé.

Mailman comme beaucoup de roman est l’histoire d’un réajustement entre la réalité et les mots dont on se sert moins pour la décrire que pour la cacher. Pourtant, la réalité se délite autour de ce postier sans que l’apothéose conclusive soit, à mon sens, tout à fait convaincante.

 

 

 

 

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