La dernière nuit à Tremore Beach Mikel Santiago

santiago

La dernière nuit à Tremore Beach est un roman distrayant dont les prémonitions fantastiques sont assez convaincantes et la précision insidieusement cauchemardesque. Par ce récit, Mikel Santiago interroge assez finement la possibilité de la prémonition et, parfois avec plus de naïveté, celle de la création artistique.

La définition canonique du récit fantastique, celle de Todorov, le cantonne dans le doute. Mikel Santiago nous livre une première partie de roman où ce doute règne en maître. La narration est alors d’une belle fluidité : elle emporte le lecteur dans la remise en cause des perceptions du narrateur.

Hasard de cette lecture voulue récréative après l’exploration de l’univers torturé de SharevLa dernière nuit à Tremore Beach m’a replongé dans cette histoire spéculative au cœur de la construction de soi au sein du roman. Pete Harper, le protagoniste compositeur, est retranché dans le Donegal, en Ulster. Avec sa langue peut-être un peu trop fluide, Santiago décrit son angoisse de la page blanche, son divorce récent, son enfermement dans la vie matérielle. L’idée intéressante de ce roman est de proposer l’hypothèse que les visions d’Harper servent peu ou prou de compensation à cette situation invivable pour un artiste : n’être plus au cœur de toutes les attentions.

À travers le discours d’accompagnement du psychologue, spécialiste un peu flou de l’hypnose clinique, la partie la plus intéressante de ce roman est celle où les prémonitions de Peter paraissent des imaginations compensatoires, des conséquences presque logique du fait d’avoir été frappé par la foudre.

La quatrième de couverture, toujours exagérément laudative chez Acte Sud, compare La dernière nuit à Tremore Beach à du Stephen King. Dans mes lointains souvenirs, ce rapprochement glorieux se justifie par une capacité commune à décrire la vie d’une petite communauté, une manière similaire d’illustrer l’aspect cauchemardesque de nos vies platement quotidiennes. Santiago sait mettre en œuvre une belle précision dans la description, chaque détail se pare de cette clarté surréelle qu’il ne saurait avoir que dans les mauvais rêves. Parfois, avoir la marque de chaque bière, le récit sans ellipses de chaque événement paraît pesant. Le récit de rêve fonctionne – et c’est une gageure.

J’avoue néanmoins avoir été un peu plus gêné par l’explication plus rationnellement et violente sur laquelle se referme le rêve. Loin d’être imprévisible, le dénouement violent est pourtant décrit avec une enviable précision visuelle.

Santiago parvient malgré tout à déjouer une des attentes implicite du lecteur : la situation géographique du lieu, invite à prévoir une vengeance terroriste. D’une manière assez déroutante d’abord, le contexte politique de l’Irlande du Nord n’est jamais évoqué. Aucun trouble n’est esquissé même lors de visite à Belfast si bien envisagé dans Eureka Street. Mikel Santiago s’exempte de cette prise en charge en ne mettant en scène que des expatriés. Lui-même d’ailleurs est espagnol. Raccourci psychologique aussi peu utile que l’histoire traumatique de Judie, celle qui deviendra la compagne de Pete Harper. Peut-être est-ce d’ailleurs une chance que d’échapper à la détermination du caractère national, de se concentrer sur son intrigue.

Cette lecture, à laquelle on s’abandonne avec un plaisir véritable, rejoint d’ailleurs un autre thème dessiné, à mon insu ou presque, par ce carnet de lecture. Le long monologue du compositeur dessine un roman de l’artiste par une interrogation sur l’inspiration. À l’image de cet article à l’ouverture du roman sur le « tunnel », ce moment d’illumination où le romancier est censé voir son intrigue et ses personnages s’animer d’eux-mêmes, déjà écrits ou presque, Santiago développe une conception à mes yeux un poil trop mystique de la musique. Heureusement, au dénouement, il insiste sur cette évidence : pour composer, le créateur a besoin  de cette paix intérieure, assez loin des conceptions un peu trop romantiques de l’inspiration.

 

 

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