Vol au-dessus d’un nid de coucou Ken Kesey

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Classique de la littérature américaine, de la filmographie mondiale, Vol au-dessus d’un nid de coucou offre bien davantage qu’une vision dénonciatrice sur la psychiatrie. Kesey est un remarquable portraitiste de nos peurs, de nos soumissions jamais aussi cruellement mise en lumière que lors d’une tragique tentative de résistance.

Vol au-dessus d’un nid de coucou est une œuvre très connue. L’adaptation de Milos Forman concourt énormément à cette renommée. Toujours intéressant de voir ce qui se cache dans cette reconnaissance très souvent vecteur de méconnaissance.  Tout le monde connaît ce film. Son titre pour le moins. Je ne suis pas certain de l’avoir vu. Ou alors mes souvenirs se sont égarés dans un brouillard oublieux.

Tout le monde croit connaître l’argument de ce livre : un phare de l’anti-psychiatrie, une boussole de la contestation, une illustration de la nécessité d’outrepasser nos façons de voir en ouvrant les portes de la perception. Ken Kesey et ses acids bus. Un moment culturel décisif. T’en souviens -t-il ? On échangeait ses phrases comme des révélations. Pour mieux masquer notre totale incompréhension de L’anti-œdipe on se contentait d’en citer ce mantra : « La psychanalyse c’est comme la révolution de 17 : on sait pas quand elle a commencé à mal tourner. » Les malades atteint de cette folie qu’on enferme, pour reprendre la formule rimbaldienne sont, pour emprunter cette fois celle d’Artaud, des suicidés de la sociétés. Les surréalistes le savaient, l’aliénation mentale ne vaut guère mieux que cette santé sans imagination. Ou, pour en finir, « la folie c’est peut-être de faire ce que nous faisons, d’être ce que nous sommes selon la mirifique formule de Georges Hyvernaud.

Mais, Ken Kesey est avant tout un immense écrivain. Et quelques fois j’ai comme une grande idée m’en paraît une preuve sans contestation. Vol au dessus d’un nid de coucou dépasse alors nécessairement cette dénonciation aujourd’hui un peu attendue. Replacer dans son époque, le livre fut sans doute un geste salvateur. Il conserve néanmoins une importance autre qu’archéologique. Soulignons d’abord une qualité dont la littérature se méfie : Vol au-dessus d’un nid de coucou se révèle d’une lecture aisée, captivante et sans répit. Peut-être la plus belle des réussites qui soient pour un romancier. La parole critique aime à en dénier la saveur. Ken Kesey a la délicatesse de ne pas surcharger son texte de théorie. Le critique n’y trouvera alors peu de formules chocs, de phrases à l’emporte pièce pour résumer la morale d’un roman. La seule qui triomphe à celui-ci est celle de l’amertume de l’ambiguïté.

Vous le savez sans aucun doute, Vol au-dessus d’un nid de coucou se passe entièrement dans un asile psychiatrique. Toute la gageure d’un tel roman est alors de donner la parole aux pensées d’un aliéné, de montrer que sa folie est une forme de lucidité. Kesey ne choisit pas la solution d’une surcharge stylistique, la plongée totale dans un inconscient linguistique déstructurée que parvient à inventer Alan Moore dans Jésuralem. La langue est parfaitement limpide, précise et parfois recherché. Le roman est une convention. Opérer ici un réalisme sans la moindre magie serait une pesante absurdité. Comme dans Et quelques fois…, Kesey a recours à un personnage d’intellectuel. Il ne parvient pourtant pas comme dans son deuxième roman à donner la voix à une pluralité diversifiée de personnages. Ici Harding, un diplômé intervient pour commenter l’action et pour y introduire de bienvenues comparaisons avec Faulkner.

En français, le titre original, La machine à brouillard, insistait peut-être trop sur le dispositif narratif mis en place par Kesey. Le narrateur est le fils d’un chef indien déchu. Peu à peu sa folie contamine sa prose. Elle s’immisce comme un brouillard. Afin de mener à bien ce qui reste malgré tout une charge contre la psychiatrie (ses lobotomies, électrochoc mais surtout son autoritarisme normatif dictatorial), il sait nous suggérer toute l’ambivalence de cette folie. Elle tient précisément à ce brouillard qui entoure sans cesse le narrateur.

Indéniable Brompten est paranoïaque. Il s’imagine que le Système nimbe nos perceptions afin de nous aveugler et masquer ainsi ses manipulations dégueulasses. Toutes ressemblances avec des manœuvres médiatiques seraient bien entendu totalement fortuites. Kesey sait aussi nous suggérer qu’il s’agit d’un traumatisme de guerre. Un fait militaire dont ce balayeur qui joue à être sourd à force d’être invisible continue de souffrir. Sa folie devient un discours à elle seule. Il écoute et réverbère les craintes de ses compagnons de souffrances.

Comment quelqu’un peut-il arriver à cette chose inouïe : être ce qu’il est ? {…} Ce n’est pas moi, je me disais, ce n’est pas mon visage. {…} Pas vraiment moi ; j’étais seulement celui que j’avais l’air d’être, celui que les gens voulaient que je sois. Probable que je n’ai jamais été moi-même ? Comment McMurphy peut être ce qu’il est ?

Une sensation que nous avons, me semble-t-il, tous ressentis. Il en est de même avec le rapport au temps si particulier induit par cette machine à brouillard inventé par le narrateur. J’imagine que dans l’enfermement les jours s’égalisent. Leur passage est brumeux, rapides faute de donner l’impression d’être arrêter. Est-ce vraiment de la folie que d’en oublier parfois l’écoulement, d’avoir d’indifférentes absences ?

Le récit vient d’ailleurs mettre de l’ordre dans ce temps sans événement et donc sans marqueurs. McMurphy arrive comme une forme d’opposition à cette organisation si sage et militaire imposée par la Chef. Ken Kesey sait rendre la part de fascination ambivalente et tragique de chaque opposition. Mc Murphy et la chef découvre d’humaines ambiguïtés. La vérité effleurée par Kesey tient ici à la liberté que redoutent ceux pour qui la maladie mentale est une réalité quotidienne. La chef est un tyran, pas un monstre. Sans doute croit-elle au système dont elle défend l’intégration. L’autre très grande idée de Kesey est de suggérer que ce flambeur de McMurphy n’est peut-être pas aussi sain d’esprit qu’il le prétend, qu’il finit par trouvé un certain confort prostré dans cet asile. Soulignons pour finir la précision des remémorations de tous les personnages. Le récit de leur passé apparaît alors comme la seule échappatoire.

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