Au bout des docks Sean Burke

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Roman très noir où la violence n’est que l’apparence de cette noirceur, Au bout des docks déploie une intrigue complexe où chaque rebondissement éclaire surtout une parfaite maîtrise narrative. Entre apitoiement et pulsions destructrices, les errances de Farrisey – le héros de cette balade désespérée sur les docks de Cardiff – instille, dans le spectacle de leur pessimisme, de subtiles interrogations.

Tout commence par la mort d’une pute. Point de départ ordinaire. Mais Sean Burke parvient à nous faire oublier tous les codes du polar tant ils sont finement déjoués. Même cette histoire de gangs, d’accusations à plusieurs bandes – comme on dit au billard – n’apparaît à aucun moment comme des passages obligés. Sans aucun doute par une parfaite plongée dans les pensées de ses personnages. Certes, tous abîmés, en quête d’un reflet d’eux-mêmes. Farrisay, pharmacien alcoolo, à la contemplative misanthropie mal soignée par l’abus de drogue, paraît à ce titre exemplaire de l’exploration d’un drame intime. Toujours de très belles réflexions désabusées, complaisantes mais pertinentes. La mort d’une pute devient ainsi un événement social dans ces docks en pleine disparition.

C’était comme un carnaval. C’est ça la mort, songea Farrisay. Un événement en perspective. C’est festif et rien ne peut le cacher

Le portrait d’un homme seul qui ne parvient plus à trouver dans « la solitude facile et sans dangers des bars, de l’insomnie, des promenades nocturnes » ses propres désirs, leur reflet vivant. Une sorte de spiritualité plutôt brumeuse, inquiète. L’aspiration à une transcendance, quand le vin est tiré, est simplement décrite :

il se mit à parler de son désir de Dieu, mais il se rendit compte que ce qu’il cherchait n’était qu’un reflet ou une ombre de lui-même.

Une question de fraternité incestueuse, de paternité incertaine, de mise en accusation par un ami dont le pharmacien a trop longtemps couvert la folie. L’intrigue porte très agréablement. Sean Burke sait laisser l’ambiguïté : quelle est la part de participation de son héros dans le meurtre dont sa femme sera chargé de défendre les accusés trop complaisamment montré du doigt. On y croit en tout instant grâce à une langue d’une belle efficacité.

Le polar se doit aussi de prendre en charge une partie sociale. Là encore, il s’agit de la perte d’un monde. « Les autorités étaient maintenant prêtes à déclarer la guerre à la vie créole de Buteton. » Les docks doivent être rénovés, attirés le touriste. Les quartiers vivants, violents, ne font pas bien sur le portrait d’une ville. Au bout des docks sait en rendre l’attrait mais toujours à l’image des excuses que Farrissay ne cesse de s’inventer. La misère n’est pas glorifiée mais nos villes deviennent sans le moindre doute trop proprettes. Dès lors, la belle réussite de ce très beau roman est de donner voix à ses habitants. De très nombreux portraits, surtout de femmes, sont joliment crédibles dans leur absence de jugement pour des comportements dits déviants. On pense par instant à Jérusalem. La littérature se porte bien dans cet éloge de la marge.

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