Histoire de la littérature récente tome 1 Olivier Cadiot

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Comment les gens habitent leur langue ? Dans cette enquête rieuse, savante et stylée, sur la possibilité d’écrire de la littérature récente, Olivier Cadiot feint de nous livrer les recettes pour devenir écrivain, pour mieux ausculter de si étrangement continuer à couler nos sensations et souvenirs dans des phrases. Un livre passionnant.

Histoire de la littérature récente, n’allez pas le confondre avec un précis d’histoire littéraire, sait surprendre son lecteur. Son indéniable talent comique ne se laisse pas réduire à la parodie. Empathique ironie. Au moment où l’on pourrait se lasser de ces courts chapitres mimant, pour ce que j’en sais, un livre de développement personnel, il laisse deviner au lecteur sa conception de la littérature.

Les essais et les erreurs s’accumulent – un livre malgré nous.

André Marcowicz ne cessait lui aussi de le rappeler : never complain, never explain. Grand danger pourtant de paraphrase pour parler de ce livre. Il faudrait en mimer la distance, la préservation de nos sensations les plus chéries derrière un éclat de rire. Tentons malgré tout. Il est entendu, depuis a mimima André Breton que la littérature tient dans ce malgré tout. En dépit de l’absurdité, de la difficulté, reste la persistance, l’acharnement à rouvrir le vieux dossier de la disparition de la littérature. Sa survie obstinée surtout puisque « au moment de sa construction, ce petit bâtiment avait déjà été conçu comme une survivance – un temple vide au fond d’un jardin. »

Ne serait-ce que pour donner tort à tous les atrabilaires de la littérature, tous ceux qui se repaissent de sa charogne, l’enquête de Cadiot se doit de subsister. À force de regretter le déclin de la chose littéraire, nous voilà, selon l’auteur, condamné à devenir des poètes latins. Je touche ici d’ailleurs à la seule réticence sensible avec cette obsession fragmentée (par une grenade du même nom) de Cadiot. Impression, fugitive pour sûr, d’une considération de l’invariance temporelle. Éternel retour, Anciens et Modernes sans fin s’affrontent… Nous entrerons dans la carrière… Les apories textuelles ou le recours au mythologique semblent condamnés à se succéder. Les écoles se suivent et se répètent. Réticence de ma part tant je rejoins, par instant, cette posture pour mieux en espérer des précisions. Mais Cadiot le dit lui-même, écrire serait scier la branche sur laquelle on est assis. Ne pas renoncer pourtant à continuer de regarder la production contemporaine pour leur apposer mais hasardeux rapprochements. Ou comme le dit l’auteur, peut-être ne jamais perdre de vue le désir de figuration puisque pour ce conservatoire de sensations (le lieu où l’on vous apprend la musique)

il n’y a pas d’autres contraintes que de laisser les motifs – taches et figures sur des tapis – divaguer et se rejoindre.

Histoire de la littérature récente se présente comme des textes fragmentaires, véritablement mobiles, pleins d’échos et de suspensions. Pas nécessaire de laisser apparaître les « points de colle » (titre d’une des séquences) tant la circulation se fait. Au lecteur  d’y introduire ses propres « morceaux de choses vues, des bribes d’événements entendues, des citations détachées de leur auteur, des phrases de {son} cœur, des mots fantômes. » On se demande parfois à quoi Cadiot se réfère. Peut-être même joue-t-il avec ce sentiment d’arnaque, d’imposture pour le moins, caractéristiques d’une certaine littérature contemporaine. Peu d’auteur sont cités directement. Le célinien professeur Y bien sûr, Faulkner et Flaubert. On pense d’ailleurs à l’indispensable Dictionnaire des idées reçues de ce dernier.

. Apprendre à écrire en lisant reste une plaisanterie. Sérieuse sinon elle ne serait pas drôle. Cadiot s’amuse à la fois de la souffrance (forme de maladie mentale quand vous commencez à croire la vôtre unique) comme de la paresseuse intuition.

Quel soulagement, on était anonyme et pauvre, on le redevient.

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir les conseils distillés et agencés dans ce livre indispensable. Comment faire parler ces corps introuvables, halluciner les détails ou s’emparer de décor déjà connu afin de produire cette « machine immatérielle qui produit des images que nous devons oublier par la suite. » Reste intacte comme un sentiment « -frais et durable » cet éloge de la manière de « dire qu’on est récent et pour toujours. » L’essentiel de ce livre (qui se garde de la posture de donneur de leçons) est d’introduire un rapport singulier à langue. Il faut que ça parle. Pari réussi. Une capacité à parler d’autre chose, le plus précisément pour se moquer aussi de ce goût du document humain, pour approcher son objet.

Et puis, l’effort pour produire des phrases toujours maladroites dans la certitude que personne ne sache écrire.

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