Partages André Markowicz

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Journal de bord d’une littérature vivante, rendue à sa propre étrangeté, « mémoire des souvenirs », indignations justifiées et toujours ce rigoureux souci de la langue. Immense traducteur, André Markowicz, sans se plaindre ni s’expliquer, en parlant de son travail plus que de lui-même, de la langue de ses souvenirs et de ses échos, se révèle tel qu’en lui-même. La richesse de ses chroniques se déguste comme autant d’invitations à y inventer nos propres échos.

Commençons, vieille habitude ici, par énoncer une réticence puisque la réserve, l’ombre d’incompréhension, serait aussi une façon d’appréhender un texte. La seule peut-être d’ailleurs selon Markowicz. Partages afin de battre en brèche le mythe du traducteur solitaire, de l’auteur coupé de son contexte, multiplie les références et les rencontres. Au point de paraître parfois étourdissant. Ces chroniques d’abord publiées sur le réseau asocial majoritaire (vous comprendrez que je n’y fasse aucun lien ; vous trouverez facilement), laissent très souvent pantois face à autant d’érudition. Comme il le note lui-même : qui sait encore en France c’est qu’est un iambe. Moi, à peine. Par association d’idée, souvenirs universitaires confus peut-être. Cette lecture, vous fera sentir profondément inculte. Dès lors, mais le genre l’exige peut-être, comme une défense malheureuse, le lecteur pourra deviner un peu de prétention, accusera de pédanterie un auteur si quotidiennement bercé dans une culture vivante. Saine jalousie de l’émulation : se souvenir de notre absolue méconnaissance de la poésie antique, de notre totale ignorance de celle chinoise, de notre approche timide pleine de trous et de doutes de la littérature russe. Comment un homme peut-il être aussi irréprochable ?

Même l’exposition de ses défauts, ses idées fixes le rendent attachant. Prenons un seul exemple. André Markowicz ferraille contre les nationalistes bretons. La communication sur internet paraît nourrir les polémiques dont elle vend l’amplification. Avec l’obstination d’une blessure sans suture, beaucoup de textes reviennent sur ce qui me paraît une idée acquise. Le bretonnant est très marqué à droite, le nazisme a su récupérer cette lutte. Marcowicz raconte les insultes et autres procès subit par sa femme et lui. La bêtise sectaire hélas ne surprend jamais. Infiniment plus passionnant, quoique tout aussi polémique, est son rapport à la langue. Parler breton s’avérerait une comédie, la mise en spectacle d’une revendication politique. De peur de mal cerné un problème qui a su m’intéresser, je vous renvoie à ce qu’il en dit lui-même. Surtout à ces traductions des chants populaires, aux très belles rencontres auxquelles elles ont donné lieu, aux confrontations avec une tradition curieusement identique d’un bout du monde à l’autre.

Le monde de la traduction populaire est sans question. C’est pourquoi il n’est plus le nôtre, définitivement.

Éclairons la démarche de ce grand traducteur pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore. Pour le grand public, le nom de Markowicz est sans doute essentiellement lié à sa traduction intégrale de Dostoïevski. Après Partages, cette relecture longtemps différée semble s’imposer. Markowicz procède, si j’ai bien compris, par mot à mot non afin de traduire, de rendre en français mais plutôt d’enrichir la langue en livrant le texte traduit dans son étrangeté, dans ce qu’il n’aura jamais de français. « Une question d’échos, de conversations secrètes ou déclarées, de lignes tracées, interrompues et toujours reprises. »

Nous rentrons alors dans la partie la plus difficile de ce livre. La plus passionnante aussi même si elle m’est souvent restée étrangère. L’auteur poursuit sa conversation avec tant de grands auteurs chinois, romains et surtout russes que j’en fus parfois étourdi. Si agréable certitude d’avoir à revenir à un texte pour en saisir la profondeur par ses échos, par les pistes de lectures qu’il propose. Il faudrait découvrir Alexandre Blok, Mandelstam et tant d’autres. Markowicz sait rendre lumineuse la filiation crée par la poésie russe. Survivance d’une poésie de « contre-exil », « un débris d’étoile qui permet de survivre. » Partages interroge la place de la poésie dans notre vie. Explication peut-être de la manière dont la poésie de l’auteur m’a peu touché. Manque de référence évident de ma part. Lecture trop rapide sans le moindre doute. Pour ne pas citer tout ce livre dont les analyses sont souvent brillantes, concrètes dans leur rapport matériel (son et sens) à la langue, notons que j’aurais sans doute mieux  compris Roman péterbourgeois en six canaux et rivières si j’avais su la persévérance de Pouckine dans la littérature russe. Un héritage jamais rompu quand en France Rimbaud rompit la poésie. Notons aussi, pour mémoire, cette très pertinente notation sur Dostoievski :

soudain, retrouve la voix de ses autres monologues – retrouve leur mauvaise foi, retrouve ce qui fait sa modernité radicale : c’est à partir de lui que la littérature n’est plus de l’ordre de la vérité – elle devient quête aveugle, passionnée, obstinée, d’une image qui se brise à l’instant où elle se donne à voir.

Pour ne pas trop étendre cette note, ajoutons la vision très politique que le rapport à la langue de Markowicz oblige. La partie la plus immédiatement fascinante de Partages tient à ce qu’il nomme « mémoire des souvenirs ». Markowicz a d’ailleurs conscience de leur succès. J’aime l’idée que lui aussi adapte son message à ses formes de publications. Publier tous les deux jours par l’emprise de la solitude statistique… La « mémoire des souvenirs » est une évocation de la présence aujourd’hui de ses souvenirs familiaux, du rapport au langage qu’ils exigent. L’émotion est souvent à nue, lapidaire. Je vous invite vraiment à la découvrir. La langue redevient aussi une façon de chroniquer le quotidien. Ces chroniques seraient une façon de dialogue, les fixer dans un livre, surtout dans sa réédition en format poche, les dote de la permanence de l’actualité. Le grand reproche à la politique reste d’avoir vidé les mots de leur sens. Lisez ce livre, vous y trouverez bien plus d’échos, de vers qui soudain vous effleure, de défense d’un théâtre vivant, que je n’ai su en débusquer.

Un grand merci aux Éditions Inculte pour cet envoi

Partages (444 pages, 9,90 euros)

 

5 commentaires sur « Partages André Markowicz »

  1. j’aime bien ses partages, meme si j’avoue préférer les lire en pastille sur facebook. mais clairement ses traductions de Pouchkine sont des merveilles ! (et dire que c’était mes premieres confrontations avec la littérature russe… qu’a-t-il initié ???)

    cependant je ne te rejoins pas sur le sentiment d’inculture (mais joli clin d’oeil au collectif !) je trouve au contraire qu’il se place en passeur, qu’il explique, qu’il nous emmène avec lui pour nous faire découvrir ce qui lui le font vibrer…

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    1. L’impression d’inculture vient surtout de moi. Mises ensemble les chroniques sont vertigineuses, laissent l’impression, salutaire, de ne rien connaître.

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  2. Je n’ai pas lu celui-ci, mais le Partages 2015-2016 vient d’arriver chez moi, éditions Mesures. Pour l’avoir suivi ici ou là depuis peu d’années, en particulier sur FB, je rejoins l’idée de passeur (du commentaire ci-dessus).

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