Alice McDermott La neuvième heure

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Par une construction virevoltant d’un personnage à l’autre, oscillant d’un temps à l’autre, Alice McDermott plonge le lecteur dans la vie sensible et la temporalité qui lui est propre. La neuvième heure capture dès lors un temps enfuit, celui des bonnes sœurs et de leur religiosité confuse et confiante. Le tout avec une délicatesse infinie.

Peut-être que le seul véritable pouvoir de la littérature est de nous entraîner sur des territoires que l’on croyait sans attrait, démodée ou appartenant à un univers sans point de tangence avec le nôtre. Une histoire de bonnes sœurs, franchement… Sans se réduire à un anticléricalisme primaire, je reconnais que ce type de microcosme éveille rire égrillard, envie de salir cette compassion dégoulinante par laquelle, durant des siècles l’Église catholique a imposé sa détestable emprise. Sans doute faut-il, à l’occasion, se défaire de ses réducteurs schémas de pensées. On ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments… Et pourtant. Qui sait si, comme une couche de glace, on ne pourrait y trouver joie sans arrière-pensée, voire un tonique réconfort. Soupçon de mauvaise foi qui ne m’a néanmoins pas quitté. Pour évoquer un autre automatisme de pensée : l’ambivalence des sentiments crée peut-être un attachement au texte qui s’imprime alors dans la mémoire.

L’histoire de La neuvième heure a la transparence de la simplicité, à la fois très simple (un homme se suicide et laisse sa femme et son enfant seules face aux secours des nonnes) et complexe tant sa narration se divise en chapitres joliment titrés et où se développe, pour mieux briser la linéarité du récit, à chaque fois un thème disons spirituel. Si, pour rendre la vision de McDermott toujours ancrée dans le profane, nous entendons ce terme dans le sens que lui prête, avec le même procédé et le même sens de la titraille, John Burnside dans Le bruit du dégel. Un sens bien sûr avant tout moral.

Soulignons alors l’habilité avec laquelle la romancière décide de ne surtout pas s’arrêter sur la théologie, l’exclusion sociale dont reste porteurs les diktatks cathos. Une sorte de naiveté enfantine parfaitement rendue par une appréhension ironique : celle de la compassion véhiculée par la sœur Jeanne. Elle qui sait transmettre le mystère de la foi seulement aux enfants et dont le regard les aide à penser que tout le reste n’est pas sérieux. Sans doute est-ce là tout le miracle de La neuvième heure : nous rendre proche une façon de pensée radicalement étrangère, hostile en apparence mais tentante au fond. Qui peut vraiment se prétendre radicalement exclu d’un désir de transcendance ? Avec un regard contrasté, McDermott lui donne une voix à la fois profane, tenace et charnelle. Toutes cette compassion sororale, cette aide aux malades et aux pauvres, cette bonté dont trop aisément on voudrait se moquer, conduit à ce constant. Nous partageons cette « faim » confuse et inextinguible. Une faim de réconfort, un prurit d’échapper à la douloureuse solitude où s’écharpe les protagonistes de La neuvième heure.

Elle s’agaçait de toute heure ordinaire, enrageait d’être retenue par les choses triviales du monde. Elle avait le sentiment que quiconque se tenait devant elle faisait obstacle à ce qu’elle avait le plus envie de voir : ces endroits où se déroulaient les instants cruciaux, où le temps et l’éternité se livraient bataille

Comme indiqué dans le titre, le centre du roman reste une appréhension temporelle. D’abord celle de Jim le père suicidé de ce roman peuplée de vraies présences féminines. Une façon d’indiquer sa dépression est de décrire son refus du temps. Gagner une heure ou toute une matinée, rester au lit pour regarder passer le temps. Une victoire dont nous avons tous, je crois, ressenti l’amère victoire. Avec une vraie finesse, une façon de coller aussi à la perception d’une époque où les sentiments individuels n’avaient pas autant de porter, le roman suggère que sa fille hérite de ce qu’il était de bon ton de nommer mélancolie et qui ressortait surtout de la pathologie mentale.

La description nue, comme en adhésion totale (celle que seuls les récits réinventés à force d’être répétés finissent par acquérir, patine factice et attrayante) avec ses portraits attentifs, de La neuvième heure sait suggérer, pour surtout n’avoir pas à commenter,  la pertinence du regard sociale. « Cette pénible situation – le fait d’être née femme – était encore aggravée par la pauvreté et par les hommes » pour n’en prendre qu’un exemple.

Ne révélons pas la construction discrète et parfaite de ce roman (une belle symétrie des lieux et des destins : d’une morsure de chien pour éviter à un enfant de se faire battre à un thé empoisonné et inusité) mais soulignons quand même la force de ces contrastes. Comme le pense un des personnages, la sainteté est ennuyeuse. La sainteté, la solitude et le sacrifice ne saurait exister sans le chaos, l’activité, le désordre. La neuvième heure laisse entendre l’ensemble


Merci aux Édition de la Table ronde pour l’envoi de ce roman à paraître le 23 août 18.

La neuvième heure (trad : Cécile Arnaud, 288 pages, 22 euros 50)

 

2 commentaires sur « Alice McDermott La neuvième heure »

  1. C’est curieux, car je viens de finir « Les anges et tous les saints », vous qui qui écrivez que la sainteté est ennuyeuse, la sainteté ne se définit qu’en fonction des luttes qui sont menées. Elle n’existe qu’en creux, dans un monde malmené. Le personnage de religieuse dans le livre que je viens de lire, vous assurerait du contraire. intéressant.

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    1. Je ne faisais que paraphraser l’avis d’un des personnages sur l’auteur. Pour ma part, si tant est que cela importe, je doute de la sainteté. D’un point de vue littéraire, je la trouve spontanément monotone, dangereusement hagiographique. C’est pour cela que j’ai goûté, en dépit de mes réticences, le point de vue contrastée de la romancière.
      Merci de votre passage.

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