1994 Adlène Meddi

9782743644758

Un polar parfait : âpre dans sa vision sociale d’une Algérie prisonnière de la « féroce force des choses », transparent et retenu dans sa violence héréditaire, sec et tendu dans ses retours temporels. 1994 emporte son lecteur tant Adlène Meddi fait d’Alger et de son peuple le véritable protagoniste de son très bon et noir roman.

La qualité d’un polar se jauge peut-être à l’absence de commentaire qu’il fait naître, à l’inutilité de gloser sur une intrigue qui se suffit à elle-même. Sans crainte de passer pour un con, il faudrait admettre seulement ceci : j’ai pris un plaisir sans arrière-pensée à dévorer 1994. Rien que ça. Énorme déjà. Creusons pourtant cette évidence sans la perdre de vue. Si vous cherchez un polar intelligent, courez acheter le livre de Meddi.

D’abord, disons, pour la joie de se plonger dans une atmosphère toujours sensiblement creusée. Les scènes s’enchaînent. Sans trop appuyer, Meddi sait en faire un vecteur d’un retour sur le passé qui explique et excuse fort mal la reproduction de la violence. L’enterrement d’un père, le retour dans un parc où ont été vécu les furtives amours lycéennes. Sans doute approchons-nous ici d’une des explications du charme de ce roman : la sûreté du point de vue de son auteur. Le livre est aussi violent que le déchaînement de haine contre lequel il s’emporte. Une saine et – presque – apaisée colère. Elle forme une base continue du roman, un appel sourd à ne pas occulter la guerre sans visage qu’a connue l’Algérie.

En fait, le mobile était de se sentir trop jeune pour accepter le statut pathétique de sursitaire.

Ensuite, un autre point d’attrait de ce roman est sa façon de s’emparer des codes les plus classiques du polar : le retour sur les terres de sa jeunesse et ses séparations dramatiques. Le ressort dramatique de 1994 est colossal ; il fonctionne admirablement. Pour décrire « les fils de bien des guerres que la mémoire du corps convoquait depuis bien des siècles » Meddi superpose les situations vécues par la génération des fils, en 1994, et celle des pères, en 1962. Les mêmes déchirements, les pauvres justifications à la terreur et aux meurtres. Le même constat sans appel : les libérateurs d’hier deviennent les bourreaux de demain. « On est les agneaux, on est les bouchers. » La lutte pour l’indépendance débouche sur une guerre sans visage.

Ne négligeons pas le charme d’apprendre le ressenti réel de faits dont nous avons (moi surtout) une connaissance des plus superficielle. De l’Algérie de 1994, j’ignore presque tout, des bribes d’informations entendues enfant, et encore.  La très bonne idée de 1994 est de situer son action dix ans après les faits. Quand il n’en reste que les traumatismes et l’absence de justification. Meddi ne renonce pas à comprendre et à faire, dans la douleur de cette mise en question, dans l’absence de réponse, une œuvre littéraire. Son écriture tend alors à la simplicité, l’évidence de la colère et le lyrisme contenu, en phrases nominales ou très courtes, dans les descriptions des tranquilles quartiers populaires, terreau des « tangos » comme on nommait les terroristes. Notons aussi une belle appropriation de la langue avec un emploi de son argot qui jamais n’entrave la compréhension. Soulignons aussi une très froide évocation de l’engagement des algériens dans la bataille de Monte-Cassino, une lutte qui ne les concernait pas dont parlait Blas de Roblès dans Dans l’épaisseur de la chair.

Vient alors un instant où l’on identifie les raisons de la violence. On sait que soi-même on n’aurait guère pu y échapper. Peut-être une des raisons d’être du polar. Ou, comme le dit un des personnages sage du roman, les choses arrivent et font semblant de repartir.


Un grand merci à Rivages noir pour cet envoi

1994 (332 pages, 20 euros)

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