Bondrée Andrée A Michaud

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Polar des lisières et des frontières linguistiques, Bondrée décrit le dernier été, celui de 1967, d’une fille devenant adulte. Andrée A. Michaud déploie les pensées de ces personnages comme autant de miroirs à un lieu, autant de reflets de la sauvagerie d’un inconscient collectif. Bondrée frappe alors par la qualité de sa langue et sa capacité à saisir le souvenir de fugaces instants de bonheur.

J’ai refermé Bondrée depuis quelques jours et un soupçon continue à me poursuivre : et si le livre dans son entier en faisait trop.  Excès de commentaires et de situations sur-signifiantes. Avec un peu de distance, on pourrait penser au détriment de l’intrigue. Rien de tout ceci est néanmoins assuré : Bondrée est un livre plaisant précisément par la temporalité propre qu’il parvient à imposer. L’intrigue progresse insidieusement, comme un boomerang pour employer le terme dont l’inspecteur Michaud qualifie les cas appelés à le hanter telle une obsession mauvaise. Nous touchons alors à la première lisière que se charge de révéler la romancière par un jeu d’égarement de la reconnaissance autobiographique. Tout au long du roman Andrée A. Michaud se passionne pour la dualité du langage. Bondrée offre deux points de vue, pour ne pas dire deux noms où l’on reconnaît l’autrice : le récit se sépare selon le point de vue, tout extérieur, mais plein d’empathie, de Michaud et celui d’Andrée, une jeune fille qui jalouse les deux mortes de cette histoire. Andrée se charge d’ailleurs d’incarner l’air du temps de l’époque, l’autrice parvient à en saisir l’essence justement par cette créolisation entre le français et l’anglais dont est frappée cette région frontalière. La langue elle-même devient un boomerang. Le texte est truffé d’expression en anglais qui opèrent un certain retour sur le propos. Seule la redite et la reprise donne à voir nos hantises et surtout nos fragilités que Bondrée éclaire.

Sans l’image que lui renvoyait Zaza, reflet souriant au fond des vastes miroirs ébréchés l’entourant, sans cette confirmation de sa réalité, elle se sentait privée de son identité.

Entre jalousie et gémellité, Andrée A. Michaud interroge le mimétisme à l’œuvre dans nos comportements, surtout ceux adolescents dont jamais nous nous déprenons tout à fait. Au couple d’abord suspect répond celui formé par les jeunes filles. De cette structure un rien mécanique, sur laquelle l’autrice insiste un peu, le roman parvient à former des images incarnées, à faire parfaitement exister chacun de ses personnages. La comédie sociale des vacances, la colonisation d’un espace sauvage et, en sous-main, le souvenir d’une sauvagerie que les États-Unis, tous proches, n’ont jamais fini d’enterrer. Andrée A. Michaud parvient surtout, assez discrètement, à nous rendre assez sympathique cet univers de l’été 1967 que jamais elle ne semble reconstituer poussivement. Sans doute grâce aux basculements permis, voire obligés, par le langage. « Jonglant avec les mots qui auraient redonné consistance au réel comme s’il s’agissait de données erronées flottant dans une masse spongieuse », les personnages ne comprennent pas, à l’image d’Andrée, ce qui leur arrive et permettent d’échapper à la platitude du réalisme et autres ordinaires réductions psychologiques.

Il ne s’agissait pas de bonheur, mais de plénitude, c’est le seul mot qui lui venait à l’esprit, et il lui semblait que la définition entière de son être tenait dans ces quelques instants.

À la fascination de la forêt, son appel envahissant de la wilderness, répond une capture sensuelle d’instants de plénitude. Des souvenirs de vacances et de suspensions solaires. Le surgissement de la beauté au cœur de ce roman dont la noirceur demeure profondément humaine.

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