L’envol du héron Katharina Hagena

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Roman des refuges dans le rêve, la forêt, la fuite ou le fantasme des colonies. L’envol du héron tente de surprendre la part de rêve, d’éveil harassé ou de lucidité exaspérée qui président aux destinées des personnages tous marqués par l’absence. Par cette étude du sommeil, des présages, des plagiats et autres appropriations d’une vie, Katharina Hagena signe un roman malin et lumineux.

Tel un rêve réussi, comprendre qui vous poursuit après votre reprise de conscience, L’envol du héron marque ma mémoire par les échos qu’il suscite. Procédons par appropriation rêveuse, par rémanence des images qui, dans les rêves, semblent tout expliquer, voire offrir une vision enfin cohérente du monde. Soulignons au passage que ce pourrait être un des reproches adressés à ce roman : une sorte de signification symbolique un peu systématique. Une cohérence que seuls les rêves savent feindre. Le lecteur comprend peu à peu être plongée dans une longue insomnie où la vérité n’est qu’un souvenir, la logique une façon de voir. Pour Ellen, somnologue frappée d’insomnie les états de conscience s’amalgament insidieusement. Le rêve ou son espoir devient sa seule lucidité, tout au moins la seule forme d’expression susceptible de communiquer les hantises que, peu à peu dans une très belle construction, nous révèle, le roman.

L’état d’éveil a quelque chose d’effiloché, de dispersé, qui ressemble bien plus à l’oubli que le sommeil.

L’insomnie devient une forme de mémoire, une lutte contre la disparition qui évoque, donc, mes propres souvenirs. « Être en éveil et veiller à ce que personne ne se perde, personne. » devient une façon d’enregistrer la disparition dont le héron serait le signe. Un présage qui disparaît.   Une présence onirique qui pourrait relier les différentes voix chargées de dire cette disparition. Comme dans un rêve donc, j’ai soudain eu l’impression de parfaitement comprendre le si beau et énigmatique Épopée de Marie Cosnay. Par une association d’idée, Eurydice devient un dormeur ayant le tort de se réveiller. Il ne nous en reste que de pauvres chants qui ne parviennent à réveiller personne. J’évoquais l’aspect un rien systématique du roman. Cela apparaît dans le personnage d’Heidrun, dans le coma et dont la chorale, dont Marthe fait le récit et constitue la seconde voix de ce roman, étudie un chant pour la réveiller. Mais, L’envol du héron fonctionne néanmoins grâce à son attention portée à la formule. Si j’ai pensé à Marie Cosnay c’est par le charme de ce genre de phrases plutôt énigmatiques : le sommeil « C’est un lieu vers lequel on descend, une utopie de la profondeur. Le chant en est peut-être une autre, beaucoup plus radieuse c’est tout. » Tous les personnages portent en héritage (et la langue est-elle autre chose qu’une tradition qu’on tente de distordre ?) une attention à chaque mot et au dérivatif (comme dans un rêve, vous dis-je) de sens qu’ils peuvent toujours emporter. L’autrice souligne qu’en français le mot vol signifie aussi dérobé. Observer le vol d’un héron c’est tenter de ne pas voir ce que nous dérobe, à la vue mais pas seulement, un présage. Un souvenir, au risque de paraître, obnubilé, des biffures de Leiris : s’intéresser au rêve c’est rêver de dérober (comme par une porte du même nom) un sens définitif, une interprétation qui attacherait tout, donnerait la cohérence qui tant et tant manque à nos vies. Le jeu sur les mots permettrait alors, pour ne donner qu’un seul exemple, de penser le cancer comme une disparition à reculons, en crabe…

deux voix désincarnées se touchent au sein d’une structure d’omission sans jamais s’entretenir l’une avec l’autre.

Cette phrase, un peu énigmatique résume une mystérieuse synchronie et plonge l’intrigue dans un temps distordu (comme dans le rêve vous dis-je) où la simultanéité devient signifiante. La plus superficielle serait entre les deux intrigues menées de front sans que le lecteur puisse d’emblée en saisir la temporalité. Un peu d’artifice dans ce récit de Marthe qui observe celle qu’elle accuse, Ellen la somnologue donc, de la disparition de son fils. Une progression qui fonctionne et qui happe le lecteur. Mais L’envol du héron trace des similitudes plus obscurs par ce qu’il faut nommer (dans un geste de préservation pas seulement écologique) un recours aux forêts. Un thème qui est apparu pour moi dans le souvenir d’une autre lecture. À nouveau par un quasi jeu sur le déplacement sémantique : une partie de l’intrigue se déroule à la lisière de la forêt de Hardt. L’occasion de rappeler, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, l’urgence de lire Dans le hameau de la forêt de Hardt de Gregory Le Floch. Le retour de la sauvagerie, d’une vie intérieure vécue dans la claustration d’une cabane est ici traité comme un plagiat. Lieux-commun de l’exil intérieur, de la régression vers un soi toujours emprunté qui apparaît ici comme un pastiche historique. On a aussi penser à Olga de Bernard Schlink. Benno s’empare du destin d’un soldat, un retranché volontaire, qui, dans sa correspondance avec sa mère, s’invente des impressions d’Afrique. Contre l’évidence, Benno voudra en faire un formateur dans un camps, retranché lui aussi. Notons que ce recours à la forêt devient alors une évocation réussie du rêve et de son moment où l’on ne sait plus qui parle, qui oserait encore dire je. À moins que la littérature, c’est tout comme, ne s’adresse qu’aux « sans sommeil {qui} sont toujours disponibles et passivement prêts à tout, alertes et inconscients dans le même temps. »

 

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