Dos au soleil Frédérique Germanaud

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Comment raconter une histoire dont on fut le témoin indifférent, de quelle façon, par quelles bribes ou quelles sensations, donner à voir l’exil des Français d’Algérie ? Dans Dos au soleil, Frédérique Germanaud retrace ses hésitations, ses doutes et ses refus. Par une écriture fragmentée et sensuelle, impressive, entre fiction et témoignage, Dos au soleil interroge l’ici dont on s’élance et surtout nos façons de nous façonner nous-mêmes.

Le charme de Dos au soleil me semble tenir à une posture. J’en parlais avant sous le terme de fabrique de l’écrivain. Je suis assez sensible, au passage, que cette construction de soi se fasse au féminin. Frédérique Germanaud instaure une sorte de filiation féminine, un jeu de référence à des autrices, à toutes les femmes qui l’ont précédée dans la maison où elle habite et qu’elle quitte pour rendre possible l’écriture. Le grand mot est lâché : écriture. Le livre ne semble d’ailleurs n’avoir d’autre sujet mais, heureusement, d’autres finalités. Une part de moi s’agace, sans doute parce qu’elle a été très marquée par cette esthétique, de cette propension, déclarée très française, à écrire des livres ressassant les conditions de l’écriture  (sur quel carnet, dans quelle ivresse ou plus intéressant à partir de quelles lectures ?). Contrairement à Cécile Lapertot dans Ce qui est monstrueux est normale, la confiance de l’autrice dans la rédemption par le style paraît moins naïve. Sans doute parce que Dos au soleil navigue entre deux mers et souligne assez finement à quel point le témoignage est une fiction, la fabrique de l’écrivain une façon de s’inventer un je qui n’existe pas, de se porter vers un sujet qui soit, pour l’essentiel, l’absence.

saisir des instants dans leur fugacité, une certaine luminosité, un ton de voix, un mot inhabituel, un regard qui glisse.

La très grande réussite de ce livre, outre sa langue discrètement poétique et heurtée pour donner voix aux interstices dans lesquelles elle se déploie, est de parvenir, dans ces réticences et oscillations, à donner des images de l’exil. Au fond, le lecteur finit par s’intégrer totalement à la posture de l’autrice, à son « système racinaire fait d’arpentages et de lectures », une façon fictive d’être ici. Pour rester dans une filiation féminine, j’ai aimé la manière dont, pour reprendre une réflexion de Mona Cholet qu’un jour il faudrait que je lise, Frédérique Germanaud assume de rester chez elle, d’en faire une façon de connaissance par les gouffres. « Je crois qu’intimement, il est possible d’accéder à une connaissance. » Dos au soleil devient alors une reconstitution où « l’essentiel est de ne pas renoncer à la beauté. » La posture a donc une certaine majesté, plutôt que de se rendre en Algérie, de revenir dans ce qui s’est constitué, par l’exil, comme un paradis, l’autrice dessine le destin des navires ayant transporté les pieds-noirs. Il n’en reste plus rien. Obstinément, ce vide est le point de départ de Dos au soleil. Aucune idéalisation de cette « pesante filiation coloniale » mais plutôt reflet du monde et de notre maintenant

Des espaces d’inhumanité, il y en a partout. {…} Intarissable tristesse. J’ai de la honte et du dégoût. Pour les Pieds-Noirs, non.

La force de la posture (jamais entièrement choisi mais plutôt revendiquée par acclimatation) de Frédérique Germanaud vient de ses perpétuelles questions. Pourquoi vouloir ressusciter la vie de ses ancêtres, de son passé auquel elle se sent si peu attachée, comment le faire à l’heure où tant de population sont elles-mêmes contraintes à un exil que nous ne savons recevoir ? Pas une once de nostalgie dans Dos au soleil mais plutôt la question de savoir ce qu’elle a elle-même hérité, ce qui la frappe encore dans son corps et ses pensées, de cette Algérie en tant que « zone mentale, un imaginaire inaccessible ». Une lumière peut-être, la présence insoupçonnée d’arbres. Tout cela lui apparaît par des conversations plus ou moins imaginaires avec Amin, le tenancier d’un bistro qu’elle choisit – pas que par dérision – de baptiser L’odyssée, par des recherches internet comme nouveau lieu de recomposition du réel,  par des lectures surtout. Le réel dans les failles puisque, comme le disait Bataille, « l’homme est ce qui lui manque » Dans une écriture à « l’os », comme le dit l’autrice,  pleine d’invention et d’ellipses Dos au soleil suscite des images, rares mais pertinentes mais dessine, dans l’espace de l’écriture, une façon d’être qu’au fond le lecteur vient à envier : « J’avance brouillon, je vis pareil. D’évidences en doutes. Perdant de belles occasions. » Si la littérature est ce qui reste, ce qui sans parler ne se tait jamais tout à fait, soyons certains que Dos au soleil en capture des bribes. Sans doute aussi par les très belles lectures dont Frédérique Germanaud recueille de si décisifs fragments.



Merci aux éditions du Réalgar pour l’envoi de ce roman

Dos au soleil (162 pages, 17 euros)

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