Les ardents Nadine Ribault

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Un lyrisme incandescent pour saisir, en des phrases sinueuses et imagées, la luxuriance d’une magie où l’inextricable enjoint à l’inexplicable, où la poésie dessine une pratique de la ferveur et de l’ardeur. Dans un style habité et fiévreux, Nadine Ribault capture le lecteur dans un conte du Moyen-Âge, dans une période de sombres enchantements, de maladies malignes, de passions destructrices. Les ardents ou la brûlure de l’existence.

Un temps d’acclimatation est sans doute nécessaire pour entrer dans ce roman, pour s’adapter au rythme de la prose poétique de l’autrice. J’avoue n’avoir, jusqu’à ce livre, jamais entendu parler de Nadine Ribault. Fort dommageable tant elle invente dans Les ardents un rapport sensuel, réfléchi, comme condensé, à une langue d’une très grande élégance, d’une immense force pour saisir les enchantements de la nature et d’une grande ferveur pour dire les brûlures du désir. Chaque phrase offre une grande densité, chute, contraction, voire contradiction en miment et en minent la période. Au prix parfois d’une certaine opacité. Temps de s’approprier cette langue dont au début on se demande où elle va. Peut-être d’ailleurs seulement par un parasitage culturel. La précision géographique, au sens de l’invention d’une topographie particulière, m’a d’emblée fait penser à Julien Gracq dont je n’ai jamais vraiment entendu l’œuvre. Chez Gracq, je vois l’inquiétude descriptive, la panique face à la nature, elle me touche fort rarement. Je reste extérieur à ces descriptions trop élaborées, à cette écriture qui un peu trop sait la beauté qu’elle met en jeu. Cette référence prétentieuse m’a d’abord empêché d’appréhender Les ardents. Peut-être aussi parce qu’il faut se laisser porter par la prose, ne pas vouloir la surplomber, la lire pour comme moi à toute force vouloir en dire quelque chose. Il faut laisser la magie opérer pour pénétrer ce conte médiévale – soudain me vient la tentation de le qualifier ses échos d’un romantisme frénétique comme on disait pour les précurseur du roman gothique. Durant tous les premiers chapitres on ne sait donc où nous mène Les ardents. Sans doute parce qu’il faut penser la progression de son intrigue en terme de suite de tableaux, de poème en prose tant il est difficile de ne pas penser à Aloysius Bertrand et son médiévale Gaspard de la nuit aux origines du genre.

Brûlants de frénétiques découvertes, pénétrant d’un coup les entrailles de leurs âmes respectives, ils firent de leurs corps les voies du devenir, enlaçaient à leurs doigts les rubans de la ferveur.

Nous tenons-là le maître mot de la prose poétique de Nadine Ribault : la ferveur. Au risque du ridicule, de l’excès, de cette grandiloquence qui consiste pour l’auteur à se laisser porter par la sonorité, à laisser sa phrase dériver aux flux d’un mot qui tombe juste. On se perd à l’occasion, on ne sait plus exactement de quoi il est question. Mais transmuer les objets reste le but de cette magie dont Les ardents recense les apparitions. Il faut sans doute préciser ici que le présage au cœur de cette prose est celui apporté par ce que l’on nommait le mal des ardents. Une fièvre longtemps cru satanique, une possession par le feu qui gangrenait le corps et rendait, dans le délire et avant l’hallucination, l’âme ardente. Aujourd’hui on nomme cette maladie ergotisme, du nom de l’ergot de seigle qui serait en partie responsable de cette intoxication et qui expliquerait les phénomènes de possessions et les accusations de sabbat de sorcières dont la sociologie maintenant apporte une vision plus claire (la crainte de la femme puissante, non mariée, asociale et surtout d’une générosité à la fois crainte et repoussée).

après seulement, on envoyait les charognards, les faux justiciers, les faiseurs de mythes, les moines, après que l’esprit fut rendu fou, l’âme abîmée, la vie gâchée, le corps légendée, la couleur passée, après le décrépissage et l’impitoyable décapage. On chantait le martyre. On fabriquait le mythe.

Les ardents emporte quand il prend à rebours l’image de la sainte, donne chair à son hagiographie et s’écarte du soupçon de la valorisation de la détresse ou de l’idéalisation de la souffrance. Les ardents ce serait l’histoire de faux jumeaux inversé, Arbogast le destructeur et Ruby l’ombre d’une bonté soumise aux exigences de l’époque, de leurs amours contrariées. Arbogast enlève et séquestre Goda. Son martyre, sa folle générosité et son sacrifice hystérique se regarde en miroir de la passion amoureuse, entre rêve et refus, entre Bruny et Abrielle. Le registre merveilleux (pour causer comme à l’école) des noms et de la structure narrative laisse éclore la menace de la politique, un contexte historique où les avancées sont comme défendues par cette forêt inextricable qui borde Gisphild, citadelle d’obscurantisme où règne la shakespearienne Reine-mère. Les ardents trouve son lieu dans l’évocation des confins, de cette sauvagerie où Abrielle défend les enchantements, une sorcellerie de simples, une médecine impuissante et tout autant de sacrifice que celle de Goda. On pourrait presque penser à une mise en scène d’une lutte entre paganisme et catholicisme. Peut-être mais l’important semble être dans l’éveil du désir, dans cette fièvre charnelle dont l’autrice amalgame tant les enchantements que les destructions.



Un grand merci aux éditions Les mots et le reste pour l’envoi de ce roman.

Les ardents (206 pages, 19 euros)

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