Halfon, Boy Eduardo Halfon

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Traduire, inventer les mots pour parler à son futur fils. Dans cette brève nouvelle, Eduardo Halfon poursuit sa réflexion sur le langage dont se tissent nos vies. Tout de retenue, Halfon, boy évoque les angoisses de la paternité et toutes les traductions auxquelles elles peuvent donner lieu.

On a coutume de dire que la nouvelle est un genre délaissé en France. Allez savoir. Toujours est-il que l’idée des éditions de La Table Ronde de lancer la nonpareille, une collection où seront publiées des nouvelles inédites, paraît parfaitement opportune. Lire une nouvelle hors d’un recueil accentue son achèvement. De fait, le grand charme de ce type de texte a toujours été l’épure. L’essai d’une idée qui sans doute n’aurait pas tenu la marée sur une plus longue distance. Une façon aussi d’éviter de rechercher les correspondances et surtout de se croire au cœur de l’œuvre en train de se faire. Manière d’avoir des nouvelles d’un auteur entre deux romans, de se demander aussi comment ce texte se trouvera, ou pas, intégré à un livre plus long. On ne sait si Eduardo Halfon procédera comme, pour ne donner qu’un seul exemple, Ben Lerner et enrichira cette nouvelle d’autres extrapolations. On le souhaite en tout cas. Même si Halfon, boy est déjà à l’os, sans une once de graisse ou un mot de trop.

Je me demande, Leo, s’il n’y aurait pas un point commun entre le processus par lequel on se transforme en père et celui par lequel on se fait traducteur ; entre le fait d’imaginer comment notre enfant devient peu à peu notre enfant, et celui d’imaginer comment les mots d’un autre deviennent progressivement les nôtres.

La métaphore peut paraître sinon poussive du moins éminemment circonstancielle. Durant la gestation de son fils, Eduardo Halfon est en train de traduire du William Carlos William, quelque part dans une ville du Nebraska. L’art de la nouvelle c’est aussi l’art de poser une situation en quelques mots. On voit, je crois, parfaitement la scène. Heureusement, la question de la traduction dessine un détour pour suggérer les angoisses paternelles : la peur de ce qu’il s’était jusqu’alors refusé de faire, jeter un être « dans un monde si cruel et insensé », mais surtout, face à ses hésitations de traducteur (un très joli passage sur un vocabulaire poétique, réservé aux parturientes, employé par Williams qui lui demeurait jusqu’alors obscur), Eduardo Halfon s’interroge sur la nécessité de corriger les erreurs. Son enfant sera-t-il affecté des mêmes maux et angoisses que son père, un traducteur peut-il corriger les coquilles ou les erreurs (le changement de sexe soudain d’un enfant dans une nouvelle de William Carlos Williams) ? D’une manière sans doute un peu moins tragique que dans le magnifique Deuils, Eduardo Halfon parvient à traduire l’émotion profondément humaine qui le submerge à la naissance de son fils. Halfon, boy traduit alors cette exigence de la littérature : un appel dans la transmission de nos erreurs à exister plus fort, pas mieux mais autrement dans une tentative perpétuelle de traduire, quelle qu’en soit la forme, ce qui nous arrive.



Un grand merci aux éditions de la Table Ronde, et longue vie à sa collection la nonpareille, pour cette nouvelle.

Halfon, boy (trad : David Fauquemberg, 38 pages, 4 euros 50)

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