Le ciel à bout portant Jorge Franco

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Le rêve, en plein ciel, du retour du fil au pays, des ossements du père narco-trafiquant… Sur plusieurs plans, dans un joli jeu d’échanges temporels, Jorge Franco tisse le destin de son pays, la Colombie. Le ciel à bout pourtant interroge ce qui reste à Medellín, entre fêtes pleines d’artifices et traversées insomniaques. D’une grande précision, le récit charme vraiment quand il bascule dans le rêve.

On est parfois un peu déçu par un livre, on se trouve souvent idiot à demander à un auteur de reproduire l’enchantement de son précédent livre. Le temps, leur grands nombres aussi, effacent mes lectures. Il m’en reste souvent des impressions imprécises d’être favorables du Monde extérieur. Disons l’encerclement d’une ambiance fantastique, une sorte de séquestration dans les reliques d’un conte de fées pour dire l’horreur de la Colombie contemporaine. Il faut du temps pour que la réalité du Ciel à bout portant bascule. Jorge Franco affronte sans fard la violence, sa vérité et son évidence. Une histoire de reconstruction : Larry revient de Londres après douze ans d’absence, le squelette, incomplet, de son père a été retrouvé. Il faudrait alors enterrer cette partie de l’histoire dont Libardo, le père proche lieutenant de Pablo Escobar, serait l’incarnation. Mais, obstinés les souvenirs remontent : la culpabilité collective n’est pas un cadavre facile à enterrer. Jorge Franco raconte alors cette histoire avec une discrète maîtrise narrative : il sépare son histoire en trois temps, autant de progressions distinctes. Larry raconte une fille dans l’avion, ils partagent deuils et rechute ; Larry est entraîné par ses anciens amis, par les fantômes des fêtes qu’il donnait, à travers Medellín qui s’affiche, sans s’oublier, dans l’Alborado, une fête où le ciel est troué de pétards et autres feux d’artifice ; Larry raconte aussi sa prise de conscience du métier de son père, la mort (impressionnante) d’Escobar et comment y survit celui qui en fut un des salauds ordinaires. Insidieusement, sans jamais parasiter le plaisir de lire un roman simple seulement en apparence, l’auteur fait du lien compliqué entre père et fils, une interrogation de nos acceptations. C’est la vie, c’est comme ça, nos mensonges et nos cynismes. Larry n’a jamais su vivre avec son père, il ne sait pas le faire sans lui. Il est un manque dont, ce sera tous le sens du roman, il faut comprendre l’influence collective afin de repartir.

Revenir à Medellín était comme n’en être jamais parti, comme si les années qu’il avait passées à l’étranger avaient été un rêve, et qu’au réveil la ville avait engloutit le temps.

Laissons au lecteur le plaisir de découvrir comment le récit devient peu à peu un rêve, une belle suspension temporelle en plein ciel. Une façon  de préciser que le récit est nécessairement une reconstitution, crédible comme un rêve, palpable comme l’est en partie l’irréalité de l’horreur. Tout l’insoutenable de l’histoire de Libaro apparaît ainsi quand son fils cherche, afin de l’identifier, sa voix. Il revient sur des vidéos, sur des captations de fêtes, sur cette ambiance machiste et mafieuse, sur les façons dont ses hommes occultaient l’inhumanité de leur commerce. Jamais Franco ne les dédouane, coupables, ils interrogent surtout notre acceptation et, plus compliqué, comment nous, tout un pays, va survivre à cet état de fait. Toujours, il faut le préciser avec un art du récit, une façon d’entremêler les époques, qui happe le lecteur.



Merci aux éditions Métaillié pour l’envoi de ce roman.

 

Le ciel à bout portant (trad René Solis, 349 pages, 22 euros)

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