De la forêt Bibhouti Bhoushan Banerji

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De la beauté : sauvage et pauvre, la forêt affermée. Roman écrit entre 1937 et 1939, De la forêt chante un monde disparu plein de rencontres et de pertes, de contemplation de la musique d’une vie rendue à sa sylvestre solitude. Bibhouti Bhoustan Banerji signe ici un roman magnifique. Social et écologique, De la forêt happe le lecteur dans le destin d’un homme qui apprend à aimer ce coin du nord-est de l’Inde qu’il est chargé de livrer aux appétits des hommes. Un roman où le mystère affleure et où l’homme survient dans sa pluralité.

Prenons garde au qualificatif de roman écologique, il ressemble trop à un contemporain argument de vente. Pourtant, De la forêt décrit l’éveil d’une conscience à son environnement et, l’air de rien, l’effacement de la personnalité du narrateur qui apprend à écouter et à rendre compte de ses différentes rencontres. La narration elle-même apporte une ombre de discrète poésie : une présence de ce qui nous dépasse, une certaine bienveillance envers la pauvreté des gens à laquelle se trouve confronté ce régisseur Bengali en chômage. Le voilà envoyé aux confins du Bihar, pas si loin de l’Himalya mais loin de tout comme régisseur d’un domaine qu’il faut vendre à l’empan, vendre acre par acre à des métayers cette forêt. Une poésie de l’exil et de la conscience à soi. Vieux thème – il me semble trouver un écho particulier au même instant en Occident – de la fuite de la ville et de son agitation. Un retour à soi qu’il faut bien inventer. Témoignage, dès lors, des plus attirants d’un monde disparu. Fascinant dans sa radicale étrangeté et l’absence de surplomb de l’auteur. Jamais il ne s’agit d’absoudre le point de vue de ses préjugés. Peut-être est-ce d’ailleurs seulement à ce prix-là que nous pouvons avoir un point de vue concret sur tout ce que voit le narrateur. L’Inde des castes et d’une pauvreté inconcevable à laquelle Bibhouti Boushan Banerji rend toute sa matérialité. Le souci du manger, le visage de la pauvreté. Là-bas, à la lisière de la forêt on survit en mangeant de la farine de lentille, des graines. Survie fataliste, heureuse peut-être. Générosité incomparable, aussi plaisante qu’idéalisée, sans doute.

C’était comme une musique silencieuse, très précieuse, jouée par un rythme sourd de la clarté des constellations, dans l’immatérialité du clair de lune, et du crissement des criquets. Son temps était l’éclat des queues de comètes.

L’indicible des étendues sauvages ou comment on s’y acclimate, on en vient à en envier dénuement et isolement.  Contact contraint à tout ce qui l’entoure, une écoute de la simplicité et de l’évidence qui, si souvent, nous fait défaut. De la forêt enregistre les fêtes des moissons, cette pauvreté dont on abuse pour lui vendre des colifichets, ses usuriers mais avant tout sa grandeur d’âme qui ne va pas sans une certaine naïveté. La forêt, c’est surtout les histoires qu’elle raconte, tous ces récits auxquels l’auteur sait donner profondeur, nécessité même d’en garder une trace comme une revanche sur l’adversité. La forêt c’est aussi la marge et tous les fous qui s’y déploient dans son ombre. La préservation d’un lac au milieu de la jungle parfois améliorée en compagnie d’un homme qui a tout sacrifié aux graines, à la beauté de tout ce qui pousse. Cela aussi sera dévoré, il en reste le souvenir. Si la littérature pouvait déjà cette temporaire préservation…

De la forêt, sans la moindre insistance offre aussi la possibilité d’une contre-narration. Le roman serait-il autre chose qu’un autre discours adossé à celui des vainqueurs, son attention aux humbles n’est rien d’autre. Bibhouti Bhoushan Banerji laisse surgir le très beau personnage d’un des derniers raja santal. Sa séduction, comme dans tous les récits de ce livre, n’est pas sans ambivalence. Un lien marchand s’instaure avec ce raja dans le plus extrême dénuement, avec cette incarnation de l’histoire oubliée de l’Inde. Entre castes et ethnies, manipulations géniales et expressions artistiques (danses et poésie), De la forêt donne une admirable image de cette survivance. Il faut se laisser bercer par ce récit, comme à l’ombre d’un feu, en lisière d’une forêt, au seuil d’une menace animale et magique.



Un grand merci aux éditions Zulma pour l’envoi de ce roman.

De la forêt (trad : France Bhattacharya, 300 pages, 22 euros)

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