Ensemble, on aboie en silence Gringe

Comment parler de la schizophrénie, en restituer douleurs et lucidité, comment ne pas s’approprier cette parole de l’autre, l’ombre d’incompréhension qu’elle véhicule ? À travers le récit de la schizophrénie de son frère, Gringe illumine les non-dits, l’incompréhension, la tendresse et son soutien nécessairement défaillant et ouvre ainsi un dialogue avec cette folie qu’on enferme, comme on tente de se retrouver.

Il faudrait commencer ainsi : par ma totale ignorance de qui est Gringe. Confessons aussi n’avoir pas été vérifié sur les réseaux deux trois faits pour laisser accroire connaître son univers musical. Cette méconnaissance explique peut-être les légères réticences pour le personnage qu’incarne, certes pour mieux feindre in fine, une manière de rédemption. Un peu détestable, très humain, une façon derrière la dérision de soi de s’accorder pas mal d’importance. D’un point de vue littéraire un moyen classique de faire apparaître les failles. Les aléas du succès, ses déboires et autres dépenses, ou comment on se constitue en personnalité publique. En ce sens, témoignage plutôt intéressant d’une star dans la société du spectacle, d’un humour qui n’échappe pas au cynisme. La sincérité comme posture, un sourire quand les sentiments débordent. Et malgré tout, ainsi toucher du doigt l’aspect le plus problématique du livre, celui que Gringe parvient à ne jamais occulter : n’y aurait-il pas quelque obscénité à exposer la souffrance de son frère, à s’en servir pour attirer, une nouvelle fois, la lumière sur soi ?

C’est à partir de ce soupçon, de la gêne qu’il crée nécessairement que peu s’élancer la parole. Si la littérature ne transmet pas de l’incompréhension, ne suscite aucun doute, ni obscurité, sans doute a t-elle manqué son objet. Comme s’il fallait payer de sa personne pour prendre en charge la parole d’autrui. Les voix qui hantent, parasitent aussi, ne se laisse ni approcher ni utiliser aussi simplement. Ensemble, nous aboyons en silence parvient pourtant à les restituer avec une étonnante limpidité. Des récits d’errances, de solitude et de départs, des instants d’écriture surtout. Sans doute avec des ellipses. Ce dialogue tacite, silences et agacements, donne aussi tout son rythme au récit. Une pensée par fragments, par prise de conscience dont Gringe reconstruit la linéarité à partir de cette simple question : comment en est-on arrivé là ? Il parvient d’ailleurs à nous faire ressentir cette démarche difficile pour toute famille qui accompagne une maladie mentale : après le temps de la culpabilité, du regret de n’avoir pas mieux agit vient celui non de l’acceptation mais de l’écoute. Entendre alors ce que la schizophrénie dit de nous. Le récit de la maladie de Thibault suit celui des effondrements de Gringe comme si l’écoute était surtout de reconnaître ce que l’autre peut nous apporter. Visage aussi d’une époque qui est exactement la mienne. Tout m’y a fait curieusement signe : Nous n’avons fait que fuir, les fêtes et les psychotropes, la fragilité sous les ivresses frelatées. Les questions qui cependant reviennent : le livre reste obstinément dans son époque, son espoir dans les neurosciences qui oblitèrent le poids des déterminants sociaux. Soyons plus précis : Gringe dénonce à raison l’accusation de la drogue comme unique déclencheur de la schizophrénie. Certes. À titre strictement personnel, sans vraie connaissance sur le sujet, je reste persuadé que le pétard reste un révélateur puissant de ces dysfonctionnements cérébraux. Un détail sans doute pour ce joli livre où l’on ne sait pas qui protège qui.


Merci aux éditions Harper Colins pour l’envoi de ce récit.

Ensemble, on aboie en silence (174 pages, 16 euros 50)

Laisser un commentaire