Marabout de Roche Karine Miermont

Évocation sensible, à demi-mots, par jeu de mots, navigation d’un texte l’autre, d’une absence à ses manifestations plurielles, de Denis Roche. Dans la discrétion de sa grande pudeur, dans les raretés de ses rencontres avec son voisin, Karine Miermont parvient à donner à entendre son rapport à la langue, à l’image, à l’absence aussi. Par associations sonores, relectures, interprétations Marabout de Roche à écouter tous les « échos parlants » qui font un auteur, et une autrice.

Il faut commencer à évoquer mon ressenti sur ce livre par le malaise, une certaine jalousie sans doute aussi, qu’il provoque en moi. Une question de classe, un persistant sentiment d’exclusion du monde feutré de l’Art. Marabout de Roche parle de la Fabrique, une ancienne usine devenue habitation collective. Milieu fort aisé, l’entre-soi de voisins écrivains, éditeurs, photographe. Jacques Henric et Catherine Millet, Claire Paulhan et avant eux Paule Thévenot et bien sûr Denis Roche et sa femme. Avouer que cela suffit d’habitude à me rebuter, connivences et mascarades sociales de ceux qui détiennent le capital culturel. Mais ceux qui le font, soyons honnêtes, au nom d’une haute idée de l’écriture. Admettre sans doute ainsi que c’est moi qui m’interroge sur cette confortable (matériellement parlant) certitude de soi apte à amener à s’exprimer dans la distanciation, la reprise de textes, tout ce qui fait de la parole une littérature arrêtée.

Rien ne vaut la littérature : rien de mieux qu’une prose bien balancée, fruit d’une pensée singulière et libre, pour approcher le réel et tenter de le dire. Rien de plus important que de préserver cela, que ça existe. Rien de mieux que les mots et une exigeante recherche

Il faut se laisser gagner par la discrète émotion instillée par Karine Miermont, il faut comprendre à quel point elle s’en sert comme manière de voir ce que fut la démarche, l’itinéraire de toute une vie, de Denis Roche. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Denis Roche fut photographe, écrivain, directeur au Seuil de l’emblématique collection « Fiction & cie ». Marabout de Roche fonctionne à partir d’une réalité fragmentée, de la croyance qu’elle ne se manifeste que par des silences, des contre-temps quand ce n’est pas des contre-sens. L’autrice signe un de ces livres qui, derrière leur modestie, est de ceux qui restent en mémoire précisément car ils invitent à l’association d’idée, aux rapprochements de textes pour mieux comprendre ce qui nous a échappé. À l’évidence, Karine Miermont veut enregistrer ce qui a été, la grande opacité des présences qui traversent nos vies. Elle y parvient avec un joli sens du concret : des rencontres sur des bancs, la mémoire des arbres qui ornent la cours et dont le souvenir, souvent, tient à des appellations fautives, corrigées.

Voilà, lalie, parler mais à la façon de Denis Roche, paradoxale, comme si ça parlait en silence, comme si en se taisant ça parlait quand même, mais en douce, et peut-être en s’approchant, en regardant, en lisant, peut-on entendre tous ces échos parlants.

Des faits minuscules extrapolés où se devine le poids d’une absence et où, surtout, Marabout de Roche, fait entendre son rapport à la langue. Un jour, avec cette ironie dont il était, semble-t-il coutumier, Denis Roche dit à sa voisine (qu’il encourage à écrire) : « j’espère que tu ne lis pas que de la littérature. » Intrigante et belle déclaration. Karine Miermont d’un mot à l’autre finit par y deviner une autre conception de la littérature à laquelle Denis Roche tente d’accéder : « Que la littérature soit faite de tous les excès de questions possibles. » Alors, une biographie sans réponse, par mosaïque comme on passe d’une photo à l’autre, de la présence, un instant, un endroit, dont elle semble, serait-ce en creux, attester. Peut-être s’agit-il d’inventer des biais, être sur la réserve pour trouver le bon abri. Parler d’écriture en la pratiquant (le style de Miermont brille de ses évidences retenues), montrer dès lors la photographie comme un objet d’une omniprésente absence.


Un grand merci à l’Atelier Contemporain pour l’envoi de ce tombeau.

Marabout de Roche (165 pages, 20 euros)

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