
Admirable et attentive enquête sur ceux qui partent, les disparus et leur voix, les migrants et les discours qu’ils mettent sur leur parcours. Dans Des îles, Marie Cosnay laisse la parole à ceux qui transitent vers l’Europe, décrit les îles-prisons – Lesbos et les Canaries – où l’on tente de les refouler. Un livre indispensable, hanté – une fois encore – par la disparition.
On pourrait, au risque de la candeur, le dire ainsi : la lecture de ce livre de Marie Cosnay est plaisante tant on y devine une belle personne. Il est agréable de lire un texte (mi-récit mi-témoignage, travaillé toujours pourtant par sa mise en écriture) dont la posture de l’autrice suscite notre admiration. À lire Des îles, on se dit que c’est là que doit être un écrivain, à l’écoute de ceux qui par leur voyage, leur fuite, leurs persécutions, leurs horribles déboires administratif, rendent douloureusement poreuses les frontières de l’individu. Tout au long de son témoignage par sa mise en absence, son refus de dire Je, de parler de soi, de se mettre en valeur, de se faire prédatrice de soi en parlant de ceux qu’elle n’aurait pas aidé, « du tourisme humanitaire des volontaires de tous pays », Marie Cosnay parvient à donner voix à tous ces témoignages.
Est-ce que la proximité que l’autre entretient avec la disparition (voire la mort) ne me donne pas un peu plus de vie. On ne peut rien imaginer de mieux. La mort, au sein de la vie même.
L’autrice s’absente de son texte, on y entend alors d’autant mieux la continuité de sa voix, des disparitions et des enquêtes qui, de livre en livre, travaille une identité mouvante, admirable donc. Un style, un phrasé, une façon de ne pas se contenter de l’évidence du réel qui, ici, passe par l’accumulation de témoignages. La continuité la plus évidente serait celle typographique. Depuis Épopée jusqu’à Comètes et Perdrix, l’excès de réel chez Marie Cosnay apparaît marginal. Au-delà de cette facile formule, l’autrice renvoie le contexte dans des notes en marge, dans une vérification tout à la fois décisive mais su indifférente. Dans If, l’autrice soulignait à quel point les histoires deviennent autres, hôtes les une des autres et proposaient aussi une alternative, une forme de résistance. En ces temps de haines instrumentalisées, il est admirable de continuer à témoigner de la nécessité d’un accueil inconsidérée, d’une écoute de l’autre sans jugement, sans vouloir établir à tout prix la véracité de son propos.
Que nous soyons impuissants à renverser la table ou que nous n’ayons aucune envie de la renverser (comme elle), nous serions occupés par un même souci, tenir, faire tenir, à l’endroit où on est ? Ce n’est pas du tout une bonne nouvelle.
Alors faire entendre ce qu’on relègue dans un silence prudent, ce que l’on masque dans nos vies confinées dans leur confort. Le silence effarant des gauches européennes sur ces îles prisons où, pour mieux ne pas les voir, on entasse ceux qui tentent le voyage, ceux qui partent, selon la très juste formule recueilli, parce qu’ils ne peuvent pas partir. Il faut lire le témoignage de la vie à Lesbos pendant le confinement, les restrictions de déplacement imposées à cause du Covid entre les Canaries et la Grande Espagne. Il faut écouter tous les récits contenus dans Des îles. Autant de parcours, de traversées, de retours autant les appeler déportations. Mais maintenir le lien est exigence de notre humanité. Façon aussi de laisser revenir ses propres hantises. « Parler, faire parler, chercher ou faire chercher – toujours contre la disparition. » ; « Le travail de chercher est suivi par celui de laisser aller (laisser partir). » Marie Cosnay rend compte de la vie de ceux que l’on ne sait accueillir par la place qu’à la disparition dans leur vie. La forme de l’enquête (le dénominateur de sa démarche) est pour l’autrice est une manière de donner à voir les méandres administratifs, les rétentions dont on perçoit toutes la violence quand on cherche quelqu’un qui ne donne plus signe de vie. Comme elle le dit « ce qui sépare un monde d’un autre (celui qui reste et celui qui part), c’est le rapport à la mort. » Le déni quand celle-ci est sans certitude. Tenter toujours de recueillir la multiplicité des expériences singulières, l’horreur des naufrages, l’incertitude de la survie, les plus folles rumeurs. Marie Cosnay accompagne les recherches, leur ambivalence aussi, la façon dont on remet en cause le lien entre les personnes pour ne pas admettre qu’on ne sait rien de ce qu’il advient de tous ceux qui sont poussés sur la route et la mer. L’enquête va se poursuivre dans d’autres livres, on les découvrira avec la même urgence.
Merci aux éditions de l’Ogre pour l’envoi de ce roman.
Des îles, Lesbos 2020 Canaries 2021 (275pages, 20 euros)
Le silence des gauches… Oui mais peut-être faut il poser le problème autrement car ceux qui s’insurgent à juste titre sont commodément rejetés comme infréquentables d’extrême gauche et n’ont plus la parole ni les médias pour se faire entendre. A l’inverse les haineux radoteurs ont micro ouvert en permanence… Ceci dit le livre semble intéressant et je note le titre.
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