Une empreinte sur la terre Buru Quartet III Pramoyeda Ananta Toer Buru

Poursuite, entre épreuves et erreurs, d’une lutte pour l’émancipation qui, dans ce volume, se cherche une forme collective. Toujours un rien trop didactique, Pramoyeda Ananta Toer souligne les difficultés d’une unité tant sociale qu’ethnique, les récupérations de toute prise de parole. Une empreinte sur la terre, merveilleuse compréhension des résistances d’un territoire.

Peut-être davantage que les deux autres on peut trouver ce volume didactique. Non tant par un refus de l’émotion : les sentiments, y laisser libre-cours est probablement un enjeu de cette modernité s’y obstinément rêvée par Minke à qu’il échoit surtout les déceptions, la nécessité de l’adapter à son propre environnement. « Je me sentais orphelin des temps modernes, je ne représentais rien pour qui que ce soit. » Ce qui entrave la lecture de ce volume pourtant passionnant reste la façon dont l’auteur fait des personnages secondaires seulement des porteurs d’une vision du monde, des adjuvants à la lente prise de conscience du monde. Relativisons néanmoins ce constat : Pramoyeda Ananta Toer parvient toujours à nous faire adopter le point de vue de son narrateur dont les aveuglements nous sont peu à peu révélés, trop tard comme pour Minke. Prenons l’exemple de Nyai, figure centrale des deux volumes précédents, l’auteur dévoile à quel point elle fut dirigiste, à quel point Minke n’aurait pu accomplir son destin sans s’en éloigner.

Le lent et difficile apprentissage de la place de la femme semble alors structurer le récit. Il faut faire avec la tenace impression qu’elles ne sont qu’ombres porteuses d’un discours, présences abolies pour faire « progresser » le personnage. Une empreinte sur la terre : trouver sa place dans la société et, pour Toer, en décrire ainsi les mécanismes et ségrégation. Minke devient étudiant en médecine, est renvoyé à son statut d’indigène mais de haute caste. Doucement, il prend conscience que l’éducation est, aussi, une forme d’asservissement. Médecin, il servira l’État, devra accepter colonialisme et le poids de l’industrie du Sucre. Il rencontre Mei, Le Buru Quartet continue dans son histoire d’incompréhension, désir de compréhension d’un contexte plus large. Même s’il convient parfois de se départir de l’impression de recevoir une leçon d’histoire, Pramoyeda Ananta Toer montre à quel point ce qui ne se nommait pas encore décolonialisme est une émulation mondiale. Mei est chinoise, elle milite, jusqu’au sacrifice, pour la Jeune Génération. Le rôle du Japon, la guerre entre la Russie et le Japon : tout un contexte que l’auteur parvient à nous rendre limpide. Alors, certes comme un exemple un peu lointain, traité assez factuellement, dans un certain emballement qui rend les événements assez extérieurs.

Le roman devient alors strictement politique, un peu moins descriptif des destins individuels. Chassé de l’école de médecine, Minke décide de monter une association. Les difficultés commencent là : il se heurte à la défense des intérêts propres, à la revendication d’une culture malaise qui reproduit les inégalités sociales. Tout ceci est rudement bien pensé : aider les populations indigènes semble devenir une manière non de contourner la loi mais d’en tirer le plus de profit possible. Question passionnante de la langue, de la religion, de cette unité fantasmée à laquelle contraint le colon. La vie du premier journal des Indes néerlandaises dans toute sa complexité. On se laisse prendre.


Merci aux éditions Zulma pour l’envoi de ce roman.

Une empreinte sur la terre (trad Dominique Vitalyos, 702 pages, 11 euros 20)

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