Petit traité de taxidermie Maja Thrane

La forêt, les insectes : taxidermie des instants, des saisons, de la solitude et de la peur qui reviennent dans cette maison au bord des bois. Suite de courtes proses poétiques où Maja Thrane capture le basculement de l’instant, les voix plus ou moins fantastiques qui font entendre la réalité fendue, effacée, affrontée par ce couple venu se retirer à la campagne. Biographie fantomale d’August Wihelm Malm, directeur de Musée d’histoire naturelle, collectionneur de curiosité, Petit traité de Taxidermie est une réflexion volatile sur le fugitif de nos vies.

Tant qu’un livre peu nous surprendre, tout n’est pas encore foutu. On continue à aimer tomber, un peu par hasard, sur des romans où le style est une âpre lutte avec l’évidence, contre le déjà-dit. Pour ne pas avancer beaucoup, on pourrait qualifier le style de ce Petit traité de taxidermie de poétique. Tempus fugit pour aujourd’hui tant Maja Thrane semble s’attacher à saisir les incompréhensibles, pourtant patentes, métamorphoses de notre quotidien. Une critique créative serait celle qui trouve une manière de parler, de s’approprier du style de l’auteur : de trouver les mots pour ne pas le dénaturer. Peut-être en revenant à la grammaire. Il me semble que ce premier roman, admirable et toujours surprenant insistons, procède par un jeu de substitution du sujet. « La réalité se faufilait dans la maison. La frontière entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils voyaient tendait à s’effacer ». Quelle meilleure définition d’un narrateur pourrait-on offrir ? Des voix plurielles, une altération de la réalité qui intervient alors dans l’appréhension, sous la forme d’une menace sans sujet. Une façon d’occulter l’intrigue, assez mince, à laquelle bien sûr ce livre ne saurait se résoudre. Un récit fantastique toujours dans sa capacité à instiller le doute. Une tendre moquerie comme forme de distanciation à ses personnages. Björn et Vera décident de s’installer à la campagne, dans ce qui s’avérera une possible maison hantée. À moins que ce ne soit que l’hiver, la solitude, une sorte de fascination taxidermiste pour les espèces qui les entourent et que Björn veut consigner. On s’assure comme on peut de la réalité de ce que l’on vit. Maja Thrane sait en rendre l’imminence, la sorte de peur particulière, la poésie disions-nous.

Faut se méfier, dit Jens, que la réalité ne se fende pas sous vos yeux.

Et c’est ce qui va vous arriver, lecteur. On ne demande pas mieux. Bien sûr, tout ceci passe d’abord par l’écrit. Björn tient un carnet de bord, étrange confusion de ses notations. On aime que le partage de cette crainte se fasse avec un certain humour. La lecture d’un roman de Max Frisch devient élément de la réalité. Ce dernier en vient même à interroger qui est le personnage. L’aspect poétique de ce Petit traité de taxidermie c’est peut-être surtout les liens qu’il nous propose comme autant d’apparition. Des tirets quadratins pour relier les différentes scènes, les courts chapitres qui rendent la réalité à ce qu’elle est : une revenance. Une fixation catatonique plus ou moins hystérique. Björn passe des heures à reconnaître des espèces, à en faire de la taxidermie ; autour de la maison on parle indifféremment des vivants et des morts. On pourrait le dire ainsi : Maja Thrane propose une autre vision, nettement plus panique, de la préservation de la nature. Des visions, des disjonctions.

Aucun endroit qui ne change pas.

Des liens aussi hasardeux que la croyance dans les fantômes. La maison aurait été habitée par celui qui est nommé comme l’intendant. On aime l’idée qu’un roman parte d’une image, en soit le développement fautif. Petit traité de taxidermie raconte, comme celle d’un revenant, la vie du directeur du Musée d’Histoire naturelle de Göteborg. On peut deviner, tout aussi fautivement, que l’autrice a lancé son récit à partir de deux photos : celle d’un mur détruit pour laisser passer une baleine dans lequel il était possible de boire un café, que l’on exposait avant de se rendre compte qu’elle n’était pas de la bonne espèce. Une vulgaire baleine bleue. Une erreur dans l’identification des espèces, sans doute est-ce cette vision de l’humanité que nous offre Maja Thrane. Nous sommes disjonction, métamorphose : moins séparé que ce que l’on croit des animaux, des morts. Par leur taxidermie (collection un peu ridicule de spécimen faussement spectaculaires), la littérature permet un instant leur préservation. Les saisons reprennent, la vie continue.


Un grand merci aux éditions Agullo pour l’envoi de ce roman.

Petit traité de taxidermie (trad : Marie-Hélène Archambeaud, 117 pages)

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