Vies de forêt Karine Miermont

Une attention immobile aux animaux, aux variations météorologiques, aux histoires surtout qui se trament et passent aux lisières de la forêt. Dans une très jolie prose, pleine d’errance et de chemins de traverse, Karine Miermont se situe dans ce coin de forêt, aux lisières de la Lorraine et de l’Alsace. Entre contemplation et affût, Vies de forêt invente une présence au lieu, au temps, une écoute de leur passage et transformation.

Un livre est un lieu, un refuge que jamais tout à fait on ne peut faire sien tant il nous invite à construire celui que l’on pourrait, au fil des jours, faire nôtre. Un livre comme invitation à arpenter un territoire. Platitude peu dépassable ; Vies de forêt saisi aussi nos vies dans leur peu d’originalité, ou plutôt dans cette absence dans laquelle nous les traversons. Par laquelle aussi il nous faudrait être plus attentifs à notre environnement. Karine Miermont donne ainsi une vision singulière de ce qu’en serait une préservation. Assez admirablement, elle me semble la ramasser dans une formule de Ponge citer en épigraphe : « Une certaine vibration de la nature s’appelle l’homme. » Alors le territoire dans lequel nous invite Karine Miermont se fait lisière. On n’habite dans une forêt, jamais on n’y pénètre tout à fait ; on en observe les bordures, on se préserve de l’envahissement. Une vision sans idéalisation, une vision du temps long. Un certain apaisement aussi dans une sereine absence à soi, dans l’écoute du moment et de ses dérives. Karine Miermont continue à saisir des instants. Peut-être un peu moins que dans Marabout de Roche, on en entend le confort, la position sociale ainsi induite. On pourrait le dire ainsi : il est tout un mouvement de texte, disons poétique, qui verse dans la nécessité d’un endroit à soi. Je le dis surtout pour avoir, quelque part sur une île, trouvé cet endroit d’onirique enracinement : il convient de ne pas méconnaître la facilité sociale de s’installer dans la beauté. On ne choisit pas tous le décor de nos vies.

Reprenons l’expérience à son départ, à l’envie, au désir : regarder la forêt, cette forêt, partir de là, marcher, écouter, sentir ; l’endroit, la maison, les passages, les arbres, les animaux, les lectures, les archives, les visages, toutes ces présences qui ouvrent des récits, des histoires.

Une courte citation prise dans l’introduction de ce texte délicieusement hybride. Elle nous permet d’approcher l’objet le plus insaisissable de la critique : le style. Ici un enchantement si l’expression n’était pas galvaudée. Fluidité et évidence, précision et légèreté. La vie comme elle va. Le style n’est peut-être qu’une expérience particulière du silence, une façon d’être face à lui. « Animaux ni forêt ne parlent. » Il faut tordre un rien la langue pour les faire entendre. « Approcher ce qui nous fuit », « concentré, silencieux, replié, en retrait, caché, comme seul. » Un livre vaut par la façon d’habiter le monde qu’il nous propose. Même si la forêt, homme des grands horizons marins, m’étouffe et m’inquiète, j’ai eu l’impression de partager les affûts de ces Vies de forêt. Toujours avec une adhésion un peu incertaine. Difficile pour moi d’éprouver la moindre sympathie pour la chasse, survivance d’un autre âge. Et pourtant, comprendre cette affirmation : « Il faudrait revenir au sens de la chasse comme disposition, jeu quête, enquête. Approcher. Attraper des images, des sons, des émotions, les capturer pour les raconter. » Peut-être l’essentiel tient à ce verbe: approcher. Karine Miermont regarde son coin de forêt devenir touristique. Une sorte de pollution, le désir d’une approche immédiate dans ce contact retrouvé à la nature, dans l’oubli de la patience et l’immobilité qui, seuls, donnent sens de l’approcher, d’en saisir fugacité et fragilité. S’ouvrir à une autre poétique : « Chemin mien est lenteur, /temps dilaté,/écoute des silences,/pleins, vides,/chercher dans les creux,/trouver des caches, des secrets,/Chasser. » Écrire sera toujours une sorte d’enquête sur ce qui revient. Un très beau texte alors sur la vie de Chat, quand il se perd, sur les cerfs qui parfois passent. La mémoire des lieux, archives et plans, le passé sur une croix, des bâtiments, des expressions de la Michèle, une voisine qui parvenait à dire l’endroit. Une fort agréable promenade.


Un grand merci à l’Atelier Contemporain pour l’envoi de ce livre.

Vies de forêt (159 pages, 20 euros)

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