Temps permettant Christine Lapostolle

Une année, le port, les passants, la météo. Suite de poèmes, entrecoupée de blancs comme autant de silences entre deux scènes, où tout de discrétion, d’absence, d’empathie, le regard de Christine Lapostolle vous emporte dans ce si décisif infra-ordinaire. Depuis sa fenêtre, face au port de Brest, à la précision aussi des teintes de la mer des variations chromatique du ciel, Temps permettant donne à voir et entendre le monde tel qu’il passe.

Parfois, un détail captive. Ici, les très belles éditions MF ont eu la bonne idée de choisir une encre grise bleutée, irisée d’une légère teinte violine. Peut-être parce qu’il est temps que l’on y retourne, on y a lu une promesse de mer. Sans doute aussi parce que c’est un des sujets de Temps permettant. À l’instar de Vies de forêt de Karine Miermont, lu par hasard consécutivement, il s’agit aussi dans ce livre d’être ici. L’effacement du regard quand il voit, de l’écoute quand elle entend. Une admirable modestie. Vocabulaire simple, précis, pour effleurer la banalité, pour dire l’ancrage social de cette normalité. Brest, ville portuaire : un point de vue sans surplomb, attendri parfois sur les fêtes, les défilés post-attentat, sur les vraquiers qui font circuler leurs céréales cradingues. On aime retrouver, là-bas, le Stella Maris que, parfois, l’on voit passer sur un bout de Loire.

Un paysage qui lutte pour ne pas se faire effacer/Un monsieur solitaire. Un dimanche crépusculaire.

Le temps passe, doit-on vraiment le commenter ? Seulement peut-être dire le « gris d’un grain», le soleil quand il éclaire cette ville pas si pluvieuse. Aucun commentaire, c’est appréciable, chez Christine Lapostolle. Au lecteur d’arranger, d’oublier, de laisser passer, la somme de ses impressions fugaces. Alors, bien sûr, on pourrait les expliquer par un détour. Par l’inscription incertaine dans une autre tradition : celle des haïkus. Ou pour être plus exact dans une appropriation de cette tradition. Un peu à l’image de ce que propose Charles Sagalame dans Journal d’un bibliothécaire de survie. L’instant dans sa fuite, sans doute n’avons-nous pas d’autres cabanes à construire. «Là tu es bien obligée de considérer la saloperie du monde/dans lequel tu respires. » Le port et ses odeurs ; l’immobilité pour regarder les naufrages de nos instants. Une année d’attentat, une année où le trafic portuaire alimente des bestiaux que personne ne devrait manger. Notons aussi que, comme pour n’importe quel recueil, tous ne réveillent pas notre écoute dans Temps permettant. Parfois une certaine distanciation sociale, rien que des bribes dont la fugacité ne me frappe pas. Pas bien grave. On se laisse porter par cette joyeuse mélancolie, ses silences sur les regrets dont elle ne veut se faire le vecteur. On veut surtout regarder l’incroyable précision chromatique, cette certitude que jamais deux lumières ne sont identiques, que l’on ne connaît jamais le nom des nuages même si l’on passe tant de temps à les contempler. La vie continue dans l’ondoiement de ses couleurs changeantes.


Merci aux éditions MF de m’avoir envoyé, contre vents et marées, ce livre finalement arrivé à bon port.

Temps permettant (non paginé -96 pages – 15euros)

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