L’attrapeur d’oiseaux Pedro Cesarino

Plongée critique, et spéculative, dans les méandres, et mensonges, de l’aventure ethnographique. Un homme veut reconstituer un récit, il s’embarque sur le fleuve, part pour la selve et les fièvres. En connaissance, sémantique, de cause Pedro Cesarino se livre à une très fine parodie des récits ethnographique, leurs topiques de l’altérité, leur amalgame aussi dans le mythe. L’attrapeur d’oiseaux ou comment on se laisse prendre à ses propres récits.

Ici on aime infiniment l’ethnographie quand elle est passée au crible de la littérature. Pensons par exemple à L’ancêtre de Juan José Saer ou encore à encore à La mort et le météore de Joca Reiners Terron ou, est-il utile de le préciser, à L’Afrique fantôme de Leiris. Ou comment la désillusion, la fin des mythes et de l’ailleurs se poursuit, se réinvente, se miroite aussi dans ses arrangements par une parole romanesque. Peut-être n’en n’a t-on pas finit de dénoncer l’illusion de l’exotisme, la défaite d’aller chercher chez autrui ces mythes cruellement manquants, d’en sauvegarder alors l’aspect inoffensif de ceux, fragmentaires et reconstitués, empruntés aux peuplades dites primitives. Le mythe du bon sauvage n’est jamais loin. Mais, bien sûr, L’attrape rêve est plus complexe, c’est aussi une satire des figures attendues du récit. Ah les tristes tropiques pour ses arpenteurs par définition dépressif, portant le poids du monde, la saturation de l’Occident et autres fariboles qui, malgré tout, façonne un imaginaire. Le roman n’a pas fini d’explorer ses paradis perdus.

Cette fièvre est une enfance revécue, un abandon de corps sans limites. Sans cette douleur, ce mal être, l’altération des lumières et de l’espace serait une belle expérience.

Un homme prépare une expédition, celle de la dernière chance. Improvisation, les aléas des soucis matériels. La précision de la description de Pedro Cesarino. Son narrateur part à la recherche du récit complet du mythe de l’attrapeur de l’oiseau. Il sent, sait et veut croire qu’il y trouvera un apaisement, un sens à la vie qui sait. Trouver l’histoire qui « fonde le surgissement du monde. » Discret motif d’un retour aux origines pour ce qui est aussi une parodique descente aux enfers. Pas tout à fait au cœur des ténèbres, seulement dans la solitude de l’ethnographe. Le sempiternel problème de la sexualité dans l’ethnographie. Forme primordiale de cette attirance coupable, de cette volonté de se fondre dans une population autochtone tout en gardant ses distances. On peut alors penser que Pedro Cesarino interroge un rapport à l’autre sans responsabilité. On le sait au moins depuis Leiris, le premier démon de l’ethnographie est la compréhensible vénalité de ses échanges et témoignages. Le récit qu’on lui offre serait alors une manière de contre-don : celui d’avoir à s’impliquer radicalement, d’incarner le récit, de ne plus se contenter d’en être une passive traduction.

Pourtant, dans ce que racontait Tarotaro, je percevais un bruit, comme une vision déformée au coin de l’œil, l’extrémité d’une branche qui ne finirait pas droit, qui laisserait entrevoir une arrête inattendue pour d’autres dédoublements de l’histoire que je ne parvenais pas encore à percevoir.

Toutes les histoires sont des forêts, des branches qui enserrent, des canopées dont on ne ressort pas. Avec une grande finesse, Pedro Cesarino met en avant le rôle central, dans tous les mythes, du décepteur. Celui qui trahit sera celui aussi par qui la révélation passera, celui qui sera sacrifié pour qu’elle advienne. Sans trop en dire, on aura compris de qui je parle. Toute la question de ce joli roman reste alors de savoir comment la parole peut s’incarner. On boit du wachi, cette substance qui donnerait réalité au mot, on consigne des récits dont il reste les interstices, les défauts de traductions. On l’a assez suggéré, mais le final de ce roman reste une très belle ascension. Comme pour toute satire efficace, L’attrapeur d’oiseau préserve la dangereuse fascination de tout mythe.



Merci aux éditions Rivages pour l’envoi de ce roman.

L’attrapeur d’oiseaux (trad : Hélène Mélo, 158 pages, 16 euros)

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