L’épreuve Serge Airoldi

Récit d’un homme qui court après sa propre vie, fait l’épreuve d’une Histoire dans laquelle il ne s’inscrira pas, qu’il parcourra, obstiné, tel l’humble coureur de fond qu’il est. Dans une prose maligne, au plus près des colères de son personnage, au plus près aussi du contexte dont il illustre l’incompréhension, Serge Airoldi nous entraîne dans la foulée de son peut-être ancêtre, de cet homme légitimement en colère contre les couillonnades de l’olympisme. L’épreuve poursuit l’interrogation de l’auteur sur ce qui anime une vie, la force obstinée de désespoir qui l’oriente, le peu qu’il en reste.

Après, Si maintenant j’oublie mon île, vies et mort de Mike Brandt, on est ravi de retrouver les vies imaginaires, mystérieuses et opaques, fragmentées et soudainement éclairées, de Serge Airoldi. Ici, il nous parle de Carlo Airoldi, possible ancêtre de l’auteur dont bien sûr il se garde de préciser la filiation ou, pire, les liens et autres abusives similitudes que l’écriture aurait pu tracer. On aime la manière dont ce qui requière l’attention de Serge Airoldi soit « cette indélicatesse doucereuse du temps. » Tout ce qui s’efface, les sourdes douleurs qui persistent malgré tout. La vie est là. Un climat, une fuite : une émancipation. Une force brute à laquelle donner voix. Une défiance au cœur, une envie de dépassement, brute. Une évocation alors très réussie de ces vies qui, dit-on, n’entrent pas dans l’histoire, en sont l’ombre et le ferment. Carlo travaille dans une fabrique de chocolat, cherche et rêve des moyens de prouver sa force. La course deviendra exutoire. Il faut d’emblée noter l’ironique mélancolie dont, insidieusement, s’orne la prose de Serge Airoldi. Une sorte de sourire. Un seuil surtout de l’Histoire éclairée par le récit, par la façon dont Carlo s’en tient au seuil, sans jamais pouvoir, ni souvent vouloir y rentrer. Carlo, dans son usine de chocolat, lit les journaux, n’y comprend pas grand-chose. L’auteur parvient à nous esquisser habilement cet arrière-fond : « c’est de la viande flasque. Une belle couillonnade pour les riches. » À l’instar de Des carillons quand tu meurs de Brian Hughes, L’épreuve livre un saisissant portrait des magouilles de l’Olympisme. Le premier marathon ne pouvait être gagné que par un Grec. Carlo en sera donc exclu. Douleur de toute une vie. L’auteur n’occulte pas ressentiments et ressassements qui en naîtront. Carlo jamais ne sera que cela. « Un ciel couvert à un quart. À un quart seulement. » L’épreuve suit alors un joli mouvement d’enroulement, de fragmentation, de retours. Une vie dans ses à côtés. Carlo décide d’aller en Grèce en courant. Une épreuve de force ou trouver sa valeur. Beauté de la tentative. Sans doute de nous ne reste-t-il que cela : une folie, une obstination. « La vie de Carlo était une outre percée que plus personne ne menait au puits. » Une vie que l’on retrace, dont on interroge autrement la course, la fuite. Charme indéniable, insituable, de cette Épreuve, de sa façon de retracer les étapes du parcours de cet impossible marathonien. Peut-être si peu participons-nous à notre propre vie. Un mot, quand même sur la manière dont Serge Airoldi parvient à évoquer le contexte, les guerres coloniales italiennes, Adoua, la montée du fascisme, tout ce que se refuse à voir Carlo enfermé dans son échec.


Un grand merci aux éditions Inculte pour l’envoi de ce livre.

L’épreuve (180 pages, 19 euros 90)

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