Les pistes Perrine Le Querrec

Trois personnages se rejoignent et se disjoignent par le vol de l’écriture, par le montage et démontage patient du monde qu’elle permet, par l’écoute de ses enfances et souffrances, par la saisie des multiples combinaisons, et variations, des relations humaines ainsi littéralement mises en jeu. Par ses quarante-deux variantes, par leurs raccords et reprises, Perrine Le Querrec poursuit une très fine méditation sur ce dont peu témoigner l’écriture, sur les silences et tensions dans nos relations, les interstices et projections — toute la vie telle qu’elle nous échappe. Les reprises et inventions, l’ensemble des univers ainsi écoutés, font des Pistes une lecture captivante à l’image d’une tentative d’épuisement de cette réalité complexe plurielle sérigraphiée ici autour d’un verre, un vélo, une chemise qui se déboutonne.

On aime ici le travail de Perrine Le Querrec dont on avait beaucoup aimé Rouge Pute. Il ne s’agit pas, je crois, d’exagérer les continuités, de poursuivre seulement les motifs qui, dans Les Pistes, reviennent. On ne saurait, non plus, se contenter de dire qu’elle poursuit une poétique qui ne renoncent pas à se dire dans sa constitution sociale, par ses dominations et ses violences. On retrouve, certes, des courts récits portant sur des femmes battues, sur la domination masculine. On entend surtout, je pense, cette tentation, qui tout aussi bien définirait la poésie, de débusquer la vérité des sensations, d’en cerner l’absence, d’en dire autrement les défauts de notre appréhension : « Entrée par défaut l’écriture au ras de l’humanité s’acharne à révéler. » Perrine Le Querrec bien que moi le dit, fait entendre une écriture gorgée de doute d’impossible d’irréalisation. » Tentons de comprendre cette écriture qui, il faut d’emblée le préciser admirablement fonctionne. On pourrait souligner, quelle prétention, l’emploi singulier des virgules, leur soustraction comme on colle deux réalités en apparence disjointe, comme elle doit se confier à un flux, recherche de son halètement, sa syncope, son carambolage pour révéler ce que l’on ne savait, ou pouvait, vouloir voir. Pour bien faire comprendre l’importance que, dès à présent, revêt pour moi ce livre, disons qu’il est de ces livres que j’espère lu, partagé, que d’autres que moi mieux en parlent. Un critique ne devrait avoir d’autre place ; d’autre mision que de comprendre comment ça s’écrit. Dans un premier temps, avant d’être happé par ce qui n’est pas seulement un dispositif, on pourrait considérer chaque piste comme exercice de style, une variation sur les registres et types de discours pour afin d’explorer différentes facettes, époques, milieu et ressenti que ce triumvirat sans cesse (pour mieux, n’en doutons pas, en faire entendre la dillution) recompose. Très vite, on entend surtout la continuité à travers cette discontinuité. Sans doute par une question de distance, une interrogation sur le point de vue que l’on peut avoir, disons même une méditation sur cette sorte d’extériorité impliquée que sans doute est l’écriture. Des images de vol, de focal, de surplomb et de zoom de détail et de zoom pour la prose (le mot n’est pas assez ample) de Perrine Le Querrec qui admirablement manie le raccord surréaliste. Elle le dit clairement dans l’ultime piste : « Des tentatives de montage et remontage du temps, montage et remontage d’un monde qui se démonte. » Si nous parlons de raccord surréaliste, entend-on suffisament la référence à Godard qui si bien le pratiqua, lui qui monta deux plans, les reliants pour faire sens, seulement par des couleurs ? Les pistes repart à l’assaut d’un impossible réel et nous fait entendre les glissements, les mots sésames, les déclencheurs qui autrement recompose un récit qui ne cesse de s’inventer autrement.

Que peut l’écriture/Disparition semble sa fonction/glissement vers le spectral/austères camaïeux des absences

Reprenons, à notre tour, autrement. Au-delà de la platitude, si nous osons parler d’une écriture cinématographique chez Perrine Le Querrec c’est précisément par sa recomposition autrement de détail, le sens différent qu’ils peuvent toujours avoir. Une infinie variation verbale : Tom, l’enfant, et son vélo, Piotr et sa chemise, Ève et son verre. On insiste, hélas, un peu trop sur la réflexion sur l’écriture qu’offre Les pistes, il faut aussi souligner son aptitude à faire entendre les éternels interstices du sens, le proverbial battement d’aile d’un papillon, le rythme qui décide, emporte, toute interprétation, un geste plutôt qu’une posture : « Crois-tu que l’écriture, dix mots par minutes ou par heure parfois par jour, bat des ailes, l’écriture lente l’élégance contenue dans un dos droit bras correctement posés coudes compris sur le bureau l’écran à bonne hauteur quelques inclinaisons cependant, de nuque de regard de moral parfois, crois-tu que l’écriture bat de l’aile, complexe, fragile, éphémère ? » (La voyez-vous la beauté en suspension de la suprression de la virgule, son dépassement?) Une question alors de concret, des gestes, de ces pistes qui sont incarnées, on les voit. Une chute en vélo ou bien le rêve d’en avoir un, de le retrouver après des années, l’espoir de dire ce que l’on est tient aussi à encercler, à ne limiter jamais, tout ce que l’on a pu, aurait pu, pourrait, être. Enthousiasme malgré tout. Même si, parfois, « Personne ne désire voir cela, savoir ces vies incarcérées, les barreaux. », le lecteur, espérons-le, veut entendre toutes les vies contondantes que nous fait entendre Perrinne Le Querrec.


Un immense merci aux très belles éditions Art & Fiction

Les pistes(119 pages, 13 euros)

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