Guide anachronique de l’infini Guillaume Bunel

Déambulation érudite à travers nos perceptions de l’infini, des sciences effacées qui en ont eu l’intuition, de la musique surtout d’une langue qui en restitue les mouvements et vertiges. Cette quête de l’infini, qu’il soit minuscule et lumineux, personnel, ou au contraire infiniment grand comme nos perceptions du temps et des espaces dérobés dont ce Guide anachronique de l’infini nous fait joliment l’histoire des effleurements et des intuitions étranges que l’Histoire, à l’infini, entasse. Dans une très belle langue, toute de souplesse, d’intemporel distance aussi, Guillaume Bunel nous invite à voir cet infini à tout instant à notre portée.

Après ses jolies, courtes, Notes sur l’art de se vaincre, nous sommes heureux de découvrir un nouveau livre de Guillaume Bunel. Nous sommes heureux de retrouver un auteur quand il creuse son sillon, revient autrement sur ce que l’on pourrait concevoir comme une grande cohérence dans sa pensée. On entend, s’il fallait commencer par une légère réticence, une manière d’atemporalité un rien suranné dans ce Guide anachronique de l’infini. Sans doute est-ce la collection, Guide anachronique des éditions Arléa, qui intime ceci. Volontairement, on sent dans ce livre, une évocation scientifique toujours un peu ancienne, une gourmande érudition qui se promène dans les siècles passés, dans les instants de découverte. Pour le dire dans un raccourci spécieux, Guillaume Bunel semble arrêter son enquête au XXe siècle, se refuser à parler des erreurs magnifiques, des tentatives hasardeuses, des perceptions nouvelles que le siècle, plus si nouveau, sans doute nous offre. Au passage, dans un de ces manques qui parle surtout de nous, on aurait aimé entendre parler de Levinas, de l’infini d’un visage. Critiquer un livre, est-ce vraiment parler de ce que l’on aurait voulu y voir ? Sans doute pas entièrement ou peut-être seulement après avoir trouvé comment dire ce qu’il semble, ou veut, dire. Pour mieux, je crois, entrer dans ce Guide anachronique de l’infini, il me semble que les références toujours livresques (on sent le plaisir d’archives, la volonté de la source rare), les échos textuels qu’ils suscitent tiennent sans doute à ce que Roger Caillois nommait les sciences diagonales. Disons, une sorte de beauté surréaliste ou plutôt alchimique tant Nicolas de Cues y côtoie Pascal et Pline, Borges et d’autres savants des Lumières pour illuminer ce qui littéralement serait prescience : les tâtonnements, souvent empiriques, de la science comme intuition d’un infini irrésolu. Notons, au passage, un autre infini sur lequel le livre semble achopper, peut-être seulement par une question de vocabulaire. Dans sa riche, limpide souvent, écriture Guillaume Bunel emploie l’expression Dieu. Sur le sujet, le terme paraît embarrassant, questionne la transcendance par laquelle se trouve rattrapé le matérialisme dans lequel semble se positionner l’auteur. Passons.

Le temps est une photographie où le regard s’enfonce. Il croit y voir des paysages, des cieux de prévisions flottantes : il s’abîme, il sombre. Il ne se rend pas compte que le mur est sans profondeur, une surface d’encre : il se cogne sur cette paroi qu’il ne peut franchir, comme l’insecte sur la vitre. Il ne voit pas qu’il n’y a pas de passé, ni d’avenir, mais la surface glacée, lisse et sans épaisseur, du présent.

Il me semble que toute la beauté de ce livre est que ce soit, au sens premier, au sens de substitution et d’essais d’erreurs que je tente dans L’épreuve de l’individu, un essai. Ne le réduisons surtout pas à un positionnement philosophique, à des options de penser. « L’univers est un subtil emboîtement d’analogies » Plutôt à une suite de vertige dans les contradictions ne sont que trompeuses apparences. Au-delà d’une érudition, dont le modèle sans doute semble celui de Pascal Quignard, on aime la manière dont Guillaume Bunel glisse des anecdotes personnelles à la fois un rien dérisoire et vertigineuse. « Mon existence se dilapide ainsi, en fugaces éclairs entrecoupés d’absences. » Tous, il nous arrive de voir l’irisation du réel, l’infini que peut lui restituer une attention, un regard détaillé. Ou, comme l’écrira l’auteur à propos du mouvement : « On s’approche sans fin de l’élément premier. On ne le touche pas, on le l’atteint jamais. On s’enfonce sans fin dans l’espoir de principe. » La réalité de notre matière, pas seulement celle noire et incompréhensible qui majoritairement, serait ondoyante, des ondes de radios selon l’exemple un peu daté pris dans Guide anachronique de l’infini, des codes et autres rébus que sans fin il nous faut continuer à déchiffrer. Nous en aurons ici un saisissant aperçu, on pourrait, parmi les très nombreuses citations éclairantes de ce joli essai, citer au moins ceci : « Écrire consiste à décréter arbitrairement quelques poignées de circonstances, puis faire jouer des mécanismes prévisibles. Il n’y a pas d’auteurs, mais simplement un jeu combinatoire d’idées et de faits. » Nous ne saurions épuiser, en cette brève note de lecture, la portée de ce livre, les idées infinies que, gageons, il n’a pas fini de faire naître en nous. Lisez, vous serez sans doute captivé par cette science de l’anecdote, du récit fragmentaire qui seul donne à entendre, à guider et donc à nous aider à le percevoir, peut-être à le combiner autrement, l’infini.


Merci à l’auteur et à aux éditions Arléa pour l’envoi de ce très bel essai.

Guide anachronique de l’infini (170 pages, 19 euros)

Laisser un commentaire