Meurtre sur l’île des marins fidèles Hubert Haddad

Habile pastiche de L’île au trésor, des récits de pirates, du pouvoir initiatique de la quête ; prose envoûtante, précieuse parfois, drôle souvent dans son décalage entre reconstitution historique cinématographique et tempêtes affrontées, où l’on entend la poursuite des confins, si chers à l’auteur, entre le réel et la fiction. Une fois encore, Hubert Haddad entraîne son lecteur dans un roman où l’aventure sera plongée dans la fiction, emprunt à un imaginaire dont le romancier ressuscite, ici, les enfantins enchantements, les folles préservations de leurs rêveries, de cette toujours fantomatique chasse au trésor. Meurtre sur l’île des marins fidèles est un livre magnifique, peut-être trop parfois.

On ressent souvent les mêmes sentiments à la lecture d’un livre de Hubert Haddad, cela nous paraissait particulièrement sensible dans La sirène d’Isé : serait-il possible que la perfection de son phrasé, son rythme, sa préciosité aussi parfois, tiennent quelque peu le lecteur à distance, que son jeu perpétuel entre nos imaginaires collectifs et leurs incarnations dans ce que l’on pourrait prendre pour nos aventures, les rendent un rien distanciées. Commençons donc par ce souci de la langue qui devrait être celui de tout romancier. Ce sera le premier signifiant décalage de cette appropriation marquée de Meurtre sur l’île des marins fidèles. Hubert Haddad évite de dater son roman et ses péripéties, il en fait un décor, une sorte de réminiscence de L’île au trésor. Rhys vit dans une auberge qui serait pas très loin de celle dont serait censée se lancer le roman de Stevenson. Bien sûr, tout le monde parle (pense?) français, jusqu’au gallicisme : « tous les feux de sa pénétration gelaient devant un réel tartuffe dans l’exercice de sa dissimulation ». On ne peut parfois s’empêcher de penser, la phrase est presque trop belle, brillante jusqu’à l’évaporation. Une vraie écriture, avec sa complexité, ses termes un rien précieux (taraupe par exemple) ne semble pourtant, bien au contraire, être une raison de suspendre le plaisir de la lecture. On se laisse si souvent captiver :

La pleine mer enfin, après cette vie de haleur. Nul autre obstacle que ce qui vous entraîne au fond bleu nuit des cieux. L’espace s’est vidé de tout, hormis l’aventure !

Reprenons, cette bienvenue réédition de ce roman datant de 1994, nous révèle je crois tout l’humour d’Hubert Haddad, par sa parade à la disparition, à nos fantomales paniques. « Toutes ces coïncidences ne découlaient-elles pas confusément de l’extrême vulnérabilité qui s’attache à la maladie et au deuil ? L’attention devenue suraiguë provoque ainsi des mystères et les déchiffre parfois. » L’auteur sans doute, de roman en roman, d’Un monstre et un chaos à L’invention du diable interroge notre volonté de, littéralement, nous confier à des récits, nos désirs d’y croire, d’y substituer aventures et débordements plutôt que la pâle, endeuillée, vie que mal nous menons. « Rhys vivait dans un monde redoublé d’un grand miroir de mots. » Nous avions peur que ce grand roman maritime se contente d’une reconstitution des passées traversées à la voile, de leurs passéistes enchantements. Une fois encore, au risque d’une certaine froideur, distance pour le moins à ses personnages, Hubert Haddad nous plonge dans le royaume de l’illusion, dans une réalité aussi vraie, ou fausse, que celle que le jeune Rhys, à la mort de son père fuit. Jeu assez habile sur les étapes attendues du roman d’initiation. Une pensée qui nous vient, comme ça, on pense aussi à Dickens. Rhys va fuir le pensionnat, se réfugier chez un fantasque médecin. « Ces péripéties, simplement, lui advenaient à travers un livre transparent comme la réalité. »Admirez l’équilibre de la phrase, le contre-pieds de la comparaison. Avant de mourir, le père de Rhys a lu un seul livre, L’île au trésor, of course. Peut-être Rhys veut-il prolonger sa présence, les fantômes que l’on ne peut laisser partir sont, après tout, les personnages principaux des romans d’Haddad. Avec les jeux baroques de miroirs bien sûr, l’amalgame des imaginaires qu’ils permettent. Rhys débarque sur le tournage d’une adaptation cinématographique de L’île au trésor, nouvelle incarnation spéculaire de nos imaginaires. On poursuit la confusion entre le rêve et son imaginaire, sa répétition sous forme de farce. Les pirates seront des figurants, des contrebandiers à quais, des paumés un peu aussi dans leurs passés récits d’aventures ; la traversée sera une reconstitution de tempête plus vraie que nature une fois que la goélette, reconstituée pour l’occasion, larguera les amarres. C’est assez drôle, on peine pourtant parfois à entendre l’urgence, on peine, un peu, à ressentir les sentiments de personnages hors ce très habile pastiche. Notons qu’il s’agit peut-être là d’une lecture un rien rétrospective, en regard des romans qui suivront Meurtre sur l’île des marins fidèles. Son récit s’emballe, sans gouverne, il se confie à une carte au trésor, à la pureté du rêve qu’elle contient. On le sait, où l’a-t-on lu ?, que l’important n’est jamais le trésor, ce que l’on pourrait en faire, mais sa recherche, voire la nécessité d’à nouveau l’enfouir, d’en transmettre l’énigme. Tout deviendra, dans ce roman, de plus en plus fantomatique, douloureusement irréel. La réalité, c’est peut-être ce dont on ne peut revenir se demandera-t-on pour ne pas trop caviarder la fin.


Merci aux éditions Zulma pour l’envoi de ce roman.

Meurtre sur l’île des marins fidèles (223 pages, 9 euros 95)

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