L’amertume du triomphe Ignacio Sanchez-Mejias

 

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L’amertume du triomphe est un très bref roman. Une curiosité de bibliophile, une petite pépite de celui dont le nom est surtout resté dans les mémoires pour le poème que lui a dédié son ami Garcia Lorca. Roman inachevé, joliment elliptique et cruelle en connaissance de cause, L’amertume du triomphe est une belle découverte.

Évitons d’abord toute prévention : ce livre sur la tauromachie, écrit par un torero, ne nécessite aucune connaissance particulière, voire aucune afficíon. Les lecteurs sensibles ou effarés par ce rite sacrificiel d’une violence obscène et dérangeante pourront s’aventurer dans ce récit sans longue description de mise à mort. Sans doute pas sans risque.

Impossible de ne pas évoquer ici la comparaison de Leiris à une littérature considérée comme une tauromachie quand l’auteur parvient à y introduire ne serait-ce que l’ombre de la corne d’un taureau. Par un sorte de curiosité bibliophile, de celle qui ne déplairait pas à Marías, il paraît loin d’être impossible que Leiris ait vu Sanchez-Mejias à l’œuvre.

Tout ceci ne nous apprend rien, hormis que l’auteur semble s’engager intégralement dans ce texte intense. Poétique si le terme n’était pas si galvaudé. Finalement, il est bon de ne rien savoir de sa vie. Découvrir ainsi à nue l’humiliation, le désir d’une revanche sociale, les velléités d’une reconnaissance seulement par des indifférents et surtout, comme l’indique, ce titre magnifique : l’amertume du triomphe. Au fond, si la littérature est à l’image de la tauromachie c’est sans doute que cet art de la parade, ce réflexe de l’appréhension, fonctionne sur les mêmes mesquines manipulations. Difficile de ne pas penser ici à Un dernier verre au bar sans nom.

Ce court récit décrit l’inutilité du succès rencontré par José Antonio, le personnage principale, dans des arènes successives qui s’avèrent aucunement terrain de vérité. La langue de Sanchez-Mejias se dote alors d’une certaine précision classique mais doublée par la sensualité d’une précision dans les impressions. Fils du régisseur d’un grand domaine, José Antonio grandit avec le fils de la marquise avant de subir la réprobation de sa position sociale. La scène de l’internat est magnifique et sans insistance. Une forme de délicatesse pour cet enfant aussi parfaitement rendu que le climat social d’une Espagne campée dans l’immuable.

Les réputations sociales devraient être concédées par la société elle-même après analyse de la vie de chacun. Et, si elle agissait avec justice, elle donnerait au plus grand effort la plus grande récompense.

L’amertume du triomphe est animée par une saine colère. Le torero n’est pas reconnu car il ne cède pas aux sirènes des instances en place. Les compromissions d’une carrière dont il ne méconnaît aucunement la vanité. Si dans cet unique essai, Sanchez-Mejitas mérite l’épithète de romancier c’est par sa capacité à saisir ce vide intérieur, la vanité de nos vies qui tous nous frappe.

Avec une mélancolie discrète et tenace (si ce n’est là une contradiction dans les termes), le romancier montre surtout que son héros connaissait d’avance la vanité de ses efforts. Il revient sur les terres, empruntées nécessairement, de son enfance. Le fils du domaine l’humilie. La marquise, égoïste déesse tutélaire, le conduit vers un amour impossible. Le roman se clôt ainsi. Son inachèvement se pare alors d’une indéniable beauté. Une façon, qui sait, de ne pas reconduire, l’amertume du succès.


Ce livre a été reçu en partenariat avec Masse Critique du site Babelio. Merci à eux et aux éditions Verdier pour leur travail, comme toujours, impeccable.

 

 

 

 

3 commentaires sur « L’amertume du triomphe Ignacio Sanchez-Mejias »

  1. « Les lecteurs sensibles ou effarés par ce rite sacrificiel d’une violence obscène et dérangeante pourront s’aventurer dans ce récit sans longue description de mise à mort. » Aha, oui, merci de penser à nous. 😀

    Sinon, je te signale juste que tu as des paragraphes en double.

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