Les oiseaux de Verhovina Adam Bodor

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Conte fantastique, allégorie absurde, derrière une sourde inquiétude, Les oiseaux de Verhovina dresse un récit décalé et cauchemardesque. Adam Bodor joue admirablement de la part d’obscurité des hommes dans ce roman envoûtant.

À la tout fin de ce récit de la survie autarcique du village perdu de Verhovina, une manière d’allégorie, insérée dans un ouvrage de cuisine d’où paraissent surgir des morales uniquement interprétatives, semble résumer ce roman de bout en bout difficile à situer. Donnons-là en intégralité afin de rendre compte du style intrigant de Bodor :

Dans l’histoire qui suit son exposé sur la préparation des îles flottantes aussi appelées lait d’oiseau, et plus particulièrement des petits nuages d’œufs à la neige qui nagent sur le dessus, Eronim Mox évoque, allez savoir pourquoi, les temps où les hommes auront disparu de la surface de la terre. Ces nuages, dit-il, n’en continueront pas moins de courir le ciel comme s’il y avait quelqu’un en bas pour le contempler. Mais alors à quoi bon ? Il ne disait pas un mot là-dessus.

Avec une syntaxe souvent lapidaire, parfois compliquée d’accumulation sans grand lien logique, le style de Bodor me paraît communiquer une sorte de panique paranoïaque. Les oiseaux de Verhovina navigue dans cette attente de sens, dans la contemplation muette d’un univers assez absurde pour ne pas dire post-apocalyptique. Infiniment polysémique pour le moins. Les oiseaux dont il est question sont à la fois ceux réels ayant disparu. Après la venu d’hommes mystérieux équipés de lance-flammes comme nous l’explique Adam, ce narrateur extroardinairement peu fiable. Le oiseaux sont aussi l’appellation donnée – comme si les uns chassaient les autres – aux orphelins accueillis par Anatol Korkodus, brigadier par lui-même préposé à la surveillance des eaux sulfureuse de ce Verhovina intrigant, dans un geste de réinsertion dont la portée échappe.

Explications certes un peu confuses mais la part d’obscurité s’avère tenace. Les oiseaux de Verhovina s’organise d’une manière toujours déconcertante. Chaque chapitre porte, entre paranthèses, le nom d’un personnage au cœur de l’intrigue. Dans cette ville abandonnée, sans doute située dans un recoin inconnu de Hongrie, après celle des oiseaux, les disparitions se multiplient. Adam Bodor joue de la piste criminelle. Le garde-barrage, Korkodus, seront tués. Mais, le temps est un repère parfaitement estompé. Difficile de retracer la suite logique des événements. Au fond qu’importe.

Des années plus tard, je sus ce qui s’était passé. Mais à ce moment-là, ça ne changeait plus rien.

 

Une des comparaisons faciles pour approcher ce récit serait de le rapprocher de La mélancolie de la résistance ou de Satantango (surtout de sa parfaite adaptation par Bela Tar) de Krasznahorkai. La même imminence d’un danger, le même enfermement dans une communauté dont le dénuement la place comme en dehors du temps. Une comparaison pourtant pas tout à fait efficace. Chez Bodor la menace politique est plus présente quoique également indistincte. Krokodus est victime, semble-t-il, d’une violence habituelle, toute cette petite communauté décrite avec une finesse magique, se complaît dans un isolement craintif. Nous avons ici une atmosphère onirique, pleine de prévisions catastrophiques, porteuse d’une infinité de sens qu’il conviendrait de déchiffer. Le jeune Adam fait chaque semaine la lecture à Klara Burszen, en hongrois, une langue qu’il ne connaît pas davantage que son auditrice qui croit, après la prévision de Nika Karanika, de sa rencontre prochaine avec un officier hongrois.

Dès lors, une des comparaisons possibles me semblerait plutôt avec Kafka : une même terreur qui nous décrit. Adam Bodor décrit admirablement la crainte et l’espoir de l’étranger dont la survenue devient un présage terrifiant, voire une libération souhaitée. Que ce soit l’homme à tête de cheval, Gutsy, ou plus sourdement ce N qui serait le signe initial de la mort, la fin de ce village irrespirable ne cesse d’être annoncée, espérée sans doute aussi. Le grand talent de Bodor est de parvenir à se maintenir toujours dans l’ambivalence. Le lecteur ne sait que penser de ce roman captivant ; le critique est assez désarmé.

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