Le sourire du Lézard João Ubaldo Ribeiro

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Le sourire du Lézard, par son histoire simple et douloureuse, offre une réflexion subtile sur le Mal, la domination et la modification génétique. João Ubaldo Ribeiro, dans une prose très renseignée interroge nos possibilités de choix et livre ainsi une vision inquiétante d’un univers où seuls les fous refusent l’horreur de ses processus soi-disant inéluctable.

João Ubaldo Ribeiro excelle à rendre l’imminence d’un danger. Tous les protagonistes du Sourire du lézard tremble devant leur perception d’un subtile dérèglement dans cette île mystérieuse, bien sûr, pour présenter un microcosme représentatif de leurs errements à la fois ridicule et parfaitement pathétiques. Tout commence par un lézard rieur aperçu par des enfants et ramené à João Pedroso. Ce savant local destitué, rattrapé par l’alcoolisme, se révèle un des personnages les plus attachants de ce roman qui parvient à en camper plusieurs avec finesse, voire empathie pour ceux qui sont d’ordinaires et d’impuissants salauds. João Pedroso est sans doute sympathique dans son incarnation probable de l’auteur. Ubaldo Ribeiro sait lui aussi que tout écrivain met en scène une érudition de seconde main, de celle qui se flatte de son vocabulaire savant, endort son public avec des explications complexes qui ne sont, in fine, que de la vulgarisation hâtive. Le sourire du lézard dans sa réflexion sur la génétique et ses manipulations hasardeuses procède de la même façon : une certaine grâce dans l’explication technique, celle de ne jamais trop les prendre aux sérieux.

Toute la force de ce roman est d’ailleurs-là. Aucune explication ne s’impose. Le sourire d’un lézard est-il une manifestation diabolique ou la preuve évidente d’animaux dénaturés ? Le roman ne tranche pas vraiment. Après tout, le savant devenu pêcheur, pas cette disgrâce subtilement suggérée due à un manque d’amour et de confiance, c’est peut-être simplement laisser embobiner par un charlatan et ses photos truqués. À moins bien sûr que ces manipulations dont se vante exagérément le luciphérien Lucio Nemesio (l’onomastique invite à y lire la lumière vengeresse) ne soit que de la foforanterie. C’est tout au moins la conclusion à laquelle parvient le prêtre Monteirinho, seulement quand il en vient d’ailleurs à fuir le regard interrogateur de ce lézard, à deux queues, possiblement narquois. Soulignons au passage que ce personnage introduit d’assez belles réflexions sur la conception religieuse du Mal et surtout sur l’hypothèse sceptique que l’homme puisse intervenir dessus. Un thème de la manipulation sur l’humain, peut-être la définition même du diabolique, que nous retrouvons traiter, avec une certaine fascination pour ses artefacts techniques, dans L’invention des corps. Le sourire du lézard parvient à se concentrer sur son aspect philosophique.

Des questions décalées pour ne pas dire surannées et qui acquièrent dans ce roman d’une écriture limpide une sorte d’évidence. Une profondeur que n’avait pas, par exemple, le trop théorique Défaite des maîtres et des possesseurs. Sans doute parce qu’avec une sage simplicité, Le sourire du lézard offre une polyphonie, sans frime formelle, sur un point de vue empathique ouvert pour chaque personnage. Ainsi, Bara, le chaman malgré lui, nous offre, pour revenir à une autre de mes lectures précédentes, une forme de contrenarration que serait la magie. Ubaldo Ribeiro s’empare d’un sujet pour le traiter sans la moindre condescendance. La magie pratiquée en arrière-plan de ce grand roman est une forme d’illumination en absence de soi-même. Les sacrifices offerts le sont, pour ainsi dire, par défaut, hors de toute volonté du praticien. Aucune enquête ne sera mené ni par le prêtre ni par le biologiste. Cette magie conduit, avec une dose d’ironie grinçante, à une sorte d’épidémie dont la conclusion est la survenue, létale, d’un vers dans le cerveau. Comme dans tous les vrais roman, le langage devient, en quelque sorte, une réalité opérante. La magie n’est sans doute rien d’autres.

Une réserve qu’il conviendrait, qui sait, d’introduire à la lecture de ce roman tient à sa partie mondaine. Une grande partie du Sourire du lézard repose sur un adultère des plus bourgeois et sur la vie d’un salaud ordinaire, politicien homophobe et raciste soudain atteint d’un cancer et trompé par sa femme avec João Pedroso. Une sorte d’élégance un peu lassante, caricaturale parfois dans cette dénonciation. La puissance arrogante finit toujours par l’emporter. Le lecteur le pressent peut-être un peu trop rapidement. Mais Ubaldo Ribeiro est un grand écrivain et sait introduire d’intimes failles dans des portraits jamais monolithiques. Le détestable Angelo Marcos est touchant dans sa bêtise, dans sa passion pour l’assassinat de moineaux (une créature éminement nuisible selon le satanique Lucio Nemesio). Dans cette violence idiote, de celle où l’homme croit imposer sa stupide suprématie, Angelo Marcos croit chasser un souvenir trouble : son attirance pour un tueur. L’occasion de noter que la prose du Sourire du lézard se charge d’une subtile sensualité. Elle sert admirablement dans le portrait de cette femme blessée, stupide et magnifique, qu’est Ana Clara. La femme d’Angelo Marcos s’invente, comme une Expérience désœuvrée, des relations adultères, elle dédouble sa personnalité pour en consigner le peu d’apport. La force de ce roman est alors de toujours proposer une explication rationnelle à ce qui, certes, pourrait se réduire à une histoire banale. Au fond, il se peut que toute les grandes discussions ne soient que des réactions exaltés de personnages esseulés, une forme de protections confuses contre la peur. Une mise en abyme, qui sait, de la pratique littéraire…

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