Les douze tribus d’Hattie Ayana Mathis

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Premier roman de Ayna Mathis, Les douze tribus d’Hattie explore la descendance d’une mère rude, malheureuse, pleine d’aspirations frustrées. Malgré sa noirceur constante, ce récit fragmenté offre le portrait d’une femme admirable, peu aimable sans doute dans son humanité frustre mais toujours attirante dans son mystère. La sécheresse de la prose de Mathis évite avec talent tout sentimentalisme ou toutes trop faciles explications.

Avec des fortunes très diverses, une partie du roman contemporain aime se fragmenter en récits indépendants. Sans doute autant de nouvelles plus facilement publiables avant de rencontrer son public. Si 7 abusait de l’unité de son propos, de la monotonie de la langue afin de se cacher derrière le masque d’un personnage réducteur, Les douze tribus d’Hattie se range d’avantage du côté de Contrennarrations. Non seulement car il s’agit ici clairement dans ce livre aussi d’une histoire de l’oppression et, surtout, de la difficulté à s’inventer en dehors de ce dicktat, mais surtout que, d’une manière moins marquée que pour Keenne, chacun des enfants d’Hattie, dans sa vie peut-être un rien systématiquement tourmentée, donne lieu un exercice de style. Par une sorte d’inutile mauvaise foi, une partie de ma lecture a été parasité par le soupçon de gratuité de cette traversée du siècle. Fort heureusement,  après s’être invitée chez Flanery O’Connor, la douleur de tous les enfants d’Hattie évite à Mathis de faire de ses chapitres – sans doute un rien trop séparés puisque nous souhaiterions recroisé un peu plus souvent les personnages – un pur exercice d’admiration. Sur le sujet, il reste d’ailleurs plutôt difficile de ne pas penser à Toni Morrison : l’ensemble des personnages des Douze tribus d’Hattie sont frappés d’une similaire folie, d’une noirceur prédestinée.

Néanmoins, la lecture de ce roman, en dépit de ses excès de noirceur, demeure en tout instant d’une fluidité suspensive. Anya Mathis parvient à un véritable simplicité dans sa langue à la fois descriptive et elliptique. Sa construction d’un roman en forme de nouvelles prend alors tout son sens. Le premier chapitre nous raconte la mort de ses deux premiers enfants d’une pneumonie. Il est, si j’ose l’exécrable jeu de mots, glaçant. L’horreur dans sa nudité houleuse. Aucune explication, Mathis ne s’attarde pas sur les sentiments d’une mère en deuil. Cette perte, bien sûr, expliquera peut-être la rude froideur de Hattie face à chacun de ses enfants, tous devenant les enfants perdus de l’Amérique. Correspondant indéniablement à une réalité indéniable dans le milieu afro-américain, tous les hommes de ce recueil sont des flambeurs inconsistants. Ce qui pourrait passer pour un systématisme spécieux touche à la grandeur dans le personnage d’August, le mari d’Hattie, coureur minable, mais dont le deuil demeure un omniprésent non-dits jusqu’à sombrer dans les fausses consolations de la religion. Par l’ultime récit, celui sur Sala, la petite-fille d’Hattie, Mathis nous montre clairement le centre de son propos : la littérature au fond se joue avec l’impossibilité de la rédemption.

Pas uniquement pour prendre en charge un héritage prétendument africain, Les douze tribus d’Hattie prend en charge la magie. Avec une forme d’incroyance pleine de désespoir qui n’est pas sans faire penser à celle du Sourire du lézard. Au-delà de la question théologique de l’indifférence de dieu, Mathis met en scène, au cœur des productions hallucinées de Six (enfant violent et schizophrène qui deviendra, au fil des autres récits, un séducteur autant qu’un intransigeant prédicateur) qui croit, avec raison, que la religion est un « délire collectif » qui ne dure que le temps d’un enchantement factice. La littérature n’a aucune autre rédemption à nous offrir. Pourtant, cette spiritualité apparaît la colone vertébrale de tous ses enfants malheureux. Le viol, la folie qu’on enferme, l’homosexualité mal assumée, l’alcoolisme. Tout sera noire mais seulement comme une illustration de cette sentence biblique : « L’homme naît pour souffrir comme l’étincelle pour voler. » Plusieurs interprétations sont possibles de cette phrase. Il reste à Hattie un étincelle de colère, un geste de refus, une tendresse maladroite afin d’éviter, dans la très belle chute, le « siège de miséricorde » à sa petite-fill.

 

 

3 commentaires sur « Les douze tribus d’Hattie Ayana Mathis »

    1. Je ne suis pas certain de pouvoir être aussi catégorique. Il me semble que des livres comme ceux de Keene ou de Lerner (par exemple) prouve la vitalité, sur le fond et la forme, de la littérature américaine.

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