La grande Arche Laurence Cossé

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Beauté et de la pureté de l’abstraction architecturale face aux bisbilles et autres gabegies. Dans une langue à l’évidence magnifiquement travaillée, Laurence Cossé donne à voir le destin douloureux de l’Arche de la défense. Cette Grande Arche devient alors une épopée contemporaine étrangement envoûtante. Laurence Cossé monter un talent peu commun, discret bien sûr, pour rendre compte des réalisations architecturales.

Sur le papier, le sujet passionne peu : les magouilles d’États, leur dérive vers une privatisation sauvage, l’évocation de l’ère miterrandienne dont la croyance aux « force de l’esprit » emplirait presque de nostalgie par sa conscience de vouloir imprimer sa marque monumentale sur l’Histoire paraît une ambition abolie…

La prose de Laurent Cossé prouve que le thème importe peu tant que l’écriture peu y déployer sa finesse et laisser affleurer la justesse de sa perception de la réalité. L’auteur est présente dans chaque phrase de son livre. Une ironie à la tenace subtilité l’empêche de verser à la fois dans la nostalgie où dans la dénonciation emplie de fumistes certitudes morales. Son récit, implacable et renseigné « accrédite les pires préjugés sur la désinvolture féroce des beaux esprits de ce pays. » Le grand intérêt que présente cette lecture tient à son attention exacte au sens des mots.

 

Beauté et de la pureté de l’abstraction architecturale face aux bisbilles et autres gabegies. Dans une langue à l’évidence magnifiquement travaillée, Laurence Cossé donne à voir le destin douloureux de l’Arche de la défense. Cette Grande Arche devient alors une épopée contemporaine étrangement envoûtante. Laurence Cossé monter un talent peu commun, discret bien sûr, pour rendre compte des réalisations architecturales.

Mais il faudrait trouver un autre mot que « désinvolture», moins joli, moins dansant. Peut-être que ce mot est « cynisme ».

Dansante désinvolture, l’association sonore paraît, une fois énoncée, évidente. Un écrivain se reconnaît peut-être à ces trouvailles délicates. À son bon goût de ne point s’y arrêter.

On connaît la tendance. Le romancier, peut-être pour mieux prétendre l’imaginaire évanoui se penche, en ce moment, énormément sur des faits réels. Souvent, me semble-t-il, pour se mettre en scène. Le romancier en ses doutes et débordements. L’image est entendue. À part de rares occasions, notamment une expédition aux archives inutilement décrites comme aventureuse, Laurence Cossé ne se met pas en avant. Au risque de me répéter : sa prose y pourvoie. De belles réflexions sur le travail sur la sonorité et la cadence de la phrase permises, par exemple, par les variations entre le nom et le surnom de l’architecte auquel elle consacre ce qui n’est pas une biographie romancée. Faut-il l’appeler Spreck ou Spreckelsen, l’économie sonore le décide. On vient, d’ailleurs, assez paradoxalement, parfois à regretter l’obscurité des motivations de la romancière. On ne saura rien des raisons de son attrait pour la construction de l’Arche de la Défense. Une œuvre de commande, une fascination en voisine ? Qu’importe. Cossé transforme cette implication distante, autant que le sera Spreck, en atout. Elle élude les commentaires pesamment métaphoriques. Le destin de l’architecte n’incarnera pas la dure aisance de la condition d’écrivain, la pureté de l’œuvre ne sera pas un prétentieux blason pour celle du roman. Sans grande insistance, sans doute par une grande conviction, la romancière adopte un minimalisme appréciable quand elle parle de la difficulté à rendre compte du réel, à intégrer les différentes variations apportées par les témoins de l’époque. Peut-être parce que le sujet est nettement moins tragique, il m’a été difficile de ne pas penser aux Disparus.

Pour parler de l’attrait parfait exercée par ce roman sur un sujet auquel je ne connais strictement rien, évoquons un de ces témoins majeurs. François Chaslin. Ce nom, si l’on me permet un souvenir personnel, reste associé à l’émission d’architecture de France Culture. Je me rappelle l’avoir souvent écouté, sans en entraver l’essentiel, mais porté par l’intelligence du monde transmise par ce fin regard sur ce qui en constitue le décor. La grande Arche parvient à cet exploit. De la vulgarisation élégante dirons les esprits chagrins.

Mais, Laurence Cossé ne signe pas un roman historique où l’intégration des doutes devient un argument hagiographique. Spreck reste un héros insaisissable. Pas toujours aimable, incompris certes mais se réfugiant parfois dans ce décalage culturel entre la France et le Danemark comme autant d’excuse à son intransigeance. La romancière souligne assez clairement les défauts de conceptions de son œuvre : un socle aveugle, bureaux trop étroits et bas… Pour que l’on comprenne cet héros des temps moderne, sans cynisme ni sa parure de résignation, elle insiste sur le défaut de conception frappant d’emblée l’Arche de la Défense. Un projet vide, creux comme cette langue bureaucratique dont si bien Cossé se gausse. Le bâtiment, à la base, était prévu pour un centre de communication. L’incarnation d’un demain dont la dématérialisation n’a pas été prévu. Au passage, notons les insistantes réticences de la romancière pour cette Encyclopédie foutraque que serait Wikepédia. Source de renseignements sans fins sur des sujets, selon elle, peu dignes de recherche. Passons.

Même si sa description est admirablement construite, rythmée avec retour et projection, le véritable sujet où mon intérêt achoppe fut celui des intrigues politiques. Une mode, venue de la télé ?, dont je n’ai toujours pas compris l’engouement. Et pourtant, à travers les méandres bureaucratiques de ce projet architectural le roman finit par se transformer en dubitative épopée contemporaine. Le roman n’abandonne pas son ambition, fondatrice à mon sens, de raconter le temps présent. Sans nostalgie ni cette désagréable et froide résignation qui frappait, par exemple, La légende des Akukachiba, La grande Arche décrit notre univers actuel par un jeu de comparaison. L’architecte, génial et inconnu, sans soutien ni agence derrière lui, permet un regard sur notre triste pays. Quelque chose de pourri au royaume de France sonne ironiquement dans la bouche d’un Danois. Ce goût du changement, l’incapacité à prendre une décision par goût de l’ambition personnelle, Laurence Cossé en fait des caractéristiques de l’âme française soit. Étonnamment, là encore par la finesse de son style sans doute, ces personnages souvent extérieurs ne sont pas réduits à ces caractéristiques nationales d’une pertinence toujours un peu facile. Sans doute également par la capacité de la romancière à rire de notre roman national. Fierté exagérée mais malgré tout, un sourire en coin aux bords des yeux, possible :

Pour ceux qui l’auraient un peu oublié, le béton précontraint figure au nombre des fiertés française, avec le romanée-conti, la cathédrale de Chartres, le N°5 de Chanel et bien d’autres.

  Finir cette note de lecture et se rendre compte avoir à peine parler de celui qui en est le principal protagoniste. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir son joli portrait souvent sensible quand la romancière s’hasarde à lui prêter des sensations, des regrets au moment de voir sortir son œuvre du sol. Un accomplissement jamais très loin de la trahison.


Je remercie Livraddict et Folio pour cette très belle découverte.

5 commentaires sur « La grande Arche Laurence Cossé »

  1. Ce n’est pas la première critique écrite par vous que je lis et je suis étonné de tant de littéralité, si rare sur les blogs de critiques. je suis libraire et je me nourris volontiers de votre site pour m’influencer dans mes lectures. Bravo pour votre style, digne de bien des auteurs déjà édités que vous commentez (sinon mieux…)
    Cathy

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      1. On peut vous lire en marge de ces chroniques ? vous avez des textes disponibles ? de la prose à nous jeter en pâture (car attention, en tant que libraire j’aurai mon avis ! ) Bien à vous.
        C.

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      2. l’heure de vous plaire ? Je comprends pas ? y a des heures pour vous flatter ? Comme avec le corbeau ? Quand vous en pouvez plus vous lâcher votre fromage ?

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