Les amants polyglottes Lina Wolff

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Une ombre de cynisme, de vulgarité dont la frustration est crue contemporaine, plane de prime abord sur son roman qui plagie l’incurie de la prose de Houellbecq. Fort heureusement, Les amants polyglottes ne se réduit pas à ce portrait esseulé de la sexualité moderne. Par une réflexion plutôt fine et passablement drôle, la dernière partie interroge les miroirs de la création littéraire.

L’écriture de Lina Wolff se révèle dès les premières lignes de cette sécheresse que je n’hésite pas (ô prétention) à qualifier de sous-écrite en regard, à propos de celle si maîtrisée dans ses envolées de Jean-Baptise del Amo. Sous-écrite donc car son souhait de neutralité paraît ne pas s’écarter des clichés ou induire une économie narrative où les ellipses narratives évitent, comme dans le polar à son meilleur où chez von Schirach, le pathos.

Un rien trop facilement, la prose de Lina Wolff se laisse aller non aux émotions larmoyantes mais à cette prétendue indifférence contemporaine où affleure, à son corps défendant, les pires scies d’un romantisme adolescent. Par un biais interprétatif crado, je prête spontanément cette esthétique à une écriture plutôt masculine. Débat sans doute stérile mais je continue à placer la frustration, cette focalisation assez imbécile sur la capacité à faire jouir comme une émanation déplacée, dans une optique masculine.  Lina Wolff s’en amuse sans pour autant en éviter la vulgarité. Dans la bouche de son très désagréable écrivain, obsédé par les femmes polyglottes à « fortes poitrines » (notez la subtilité du vocabulaire), elle souligne que le point de vue le plus neutre serait celui d’un homme d’âge mûr, blanc et hétérosexuel. Le postulat se veut, espérons-le, ironique. Il ne parvient pas à déjouer cette domination masculine dont l’obsession sexuelle donne lieu à d’aussi impérissable dialogue : « C’est quand que je pourrais t’enculer. » Ou, moins scabreux, cet immortel échange : « Bonjour / – Bonjour. »

Je ne veux pas passer pour pudibond. Je ne suis pas certain qu’un roman puisse faire l’économie de la sexualité. Reste la façon de l’envisager. Ma principale réticence à la lecture de ce livre tient alors au modèle qui est assez finement pastiché. Comme Calisto, le critique littéraire, frustré et déviant (aucun critique n’y échappe s’est bien connu), si j’avais le malheur de posséder des livres de Houellbecq je les planquerais derrière plusieurs rangées de livres. Jamais pu finir un seul des romans de cet auteur très surévalué. Justement car son réalisme plat se concentre sur la sexualité. L’instant de l’orgasme comme centre de l’existence m’a toujours parut un peu court. Surtout quand la prose ne parvient jamais à en rendre le trouble, l’ambiguïté, les contre-temps voire la simplicité. À l’instar de son modèle, Wolff veut illustrer les failles et la présence du mal dans l’homme. Dans les premières parties sa prose paraît trop superficielle pour toucher à autres choses qu’à des perversions minables et mineures.

Lina Wolff  en participant à la surexposition de ce romancier grossier n’échappe pas tout à fait à cette superficialité de la perversion. Son évocation de la sexualité m’a semblé à parfois grossière, toujours parasitée par des fantasmes au rabais. La seule véritable obscénité des Amants polyglottes est alors de transmuer cette confrontation intime en faits de société. Symptôme de nos solitudes urbaines dans des cités indifférenciés. Le réalisme comme succès du néo-libéralisme. Cette dénonciation du désir de caresse, cette volonté sans échappatoire d’être touché, tombe dans une certaine complaisance. La certitude qu’il ne saurait en être autrement. La prose de Wolff, avec un peu plus de plasticité que celle de son modèle, reflète cette conception. Les mots sont toujours utilisés comme réalité entière. Les phrases sont descriptives puisque entièrement confinées dans une totale illusion référentielle.

Fort heureusement advient, dans la troisième partie, sous un troisième point de vue plus riche et au vocabulaire moins limité, un retournement de situation. Pas certain qu’il parvienne pourtant à parfaitement effacé mes nombreuses réticences préalables. Je laisse au lecteur le soin de le découvrir. Peut-être en se montrant un rien trop maligne, Wolff le contraint à revoir ses perceptions. Avant d’envisager ses miroirs de la création littéraire, consignons cette citation en guise de remerciements à tous ceux et celles qui me font l’amitié de me suivre :

C’est comme quand on lit un blog, m’avait-elle dit. Il suffit de persévérer pendant un certain temps pour avoir de la sympathie pour la personne.

Les amants polyglottes quand il quitte ses références à un des plus mauvais romancier français touche à une certaine profondeur. L’emprunt un peu transparent à Proust (Marcel finit par écrire un livre) est racheté par une anecdote d’une drôlerie nécessairement grinçante, on offre une édition limitée de La recherche à un enfant pauvre afin qu’il fasse son chemin dans le monde. Pas étonnant alors que cet enfant, le père de l’ultime narratrice, se retrouve plongée en plein dans la décadence de l’aristocratie romaine.

Si la langue devient plus riche, ce n’est pas seulement par l’incursion dans ce milieu. Plutôt par un jeu d’interférences polyglottes. Une intrusion de langues étrangères qui sert de discret miroir aux réflexions des personnages. Notons d’ailleurs que lorsqu’elle trouve un reflet, la sexualité échappe à la vulgarité. Elle devient un érotisme qui ne reflète que lui-même et non plus je ne sais quel syndrome creux d’une société. Lucrezia, la dernière narratrice, connaîtra une initiation sexuelle miroitante et fascinante.

Au centre des Amants polyglottes est un manuscrit éponyme où Max Lamas, son auteur, prétend rendre sa fascination pour les femmes. Assez étrangement, on y lit qu’une narcissique angoisse de son propre pourrissement entrevue au miroir du vieillissement des femmes dont bien sûr il multiplie les conquêtes.  Le monde ne serait pour lui qu’un reflet, les femmes de simples personnages en devenir. Fort heureusement, Wolff coupe avant la rédemption finale. Le seul reflet de l’œuvre totale serait, non sans romantisme une fois encore, son manuscrit détruit et la possibilité de le recommencer comme on renaît à un nouvel amour.

Un dernier mot sur ce roman malgré tout plus plaisant que je ne le laisse entendre. Il fourmille de référence à Stephen King, toujours faussement qualifier d’écrivain ne sachant pas écrire. Pourtant, réactivant mon avis de relire ce grand auteur découvert à l’adolescence, dans mes souvenirs le miroir de son fantastique est toujours plus ancré. Hormis quelques rares notations sur l’archipel de Stockholm, Les Amants polyglottes est curieusement déterritorialisé. L’occasion de le rappeler, l’ensemble de son récit est sans doute un pastiche, un exercice de style somme toute assez admirable.


Je tiens à remercier les éditions Gallimard pour cet envoi. Les amants polyglottes sortiront le 8 Janvier 2018

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