Boccanera Michèle Pedinielli

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Un polar léger, enjoué. Michèle Pedinielli entraîne son lecteur dans le vieux-Nice. Boccanera, son premier roman, se révèle en tout instant sympathique tant il parvient à user des clichés du polar sans y sombrer. La prose efficace de Pedinielli, avec cette réserve d’humour qui lui évite les jugements de valeur, vous entraîne à la suite de son attachante enquêtrice. Un vrai polar sans autre prétention que vous accrocher à sa lecture. Un pari réussi.

Si vous suivez ce carnet de lecture, vous l’avez sans doute constaté : je ne suis pas un très grand lecteur de polar français. Si les éditions de l’Aube ne m’avait pas fait l’amitié de m’envoyer ce premier roman, nul doute que je serai passé à côté. Merci donc à cette « éditeur engagé » à permettre la découverte et le partage.

Ma réticence, jamais tout à fait levé, sur le polar français tient lieu à cet ailleurs dans lequel j’aime m’immiscer. Un plaisir de voyeur : le roman policier ou le désir de pénétrer par effraction, trop tard sans doute, dans l’intimité des personnages. L’économie narrative du polar s’inscrit, à mon sens, toujours dans un décor. Pour moi, quand on croit le connaître, nous voilà vite blessé par ses stéréotypes. À l’étranger, on pourrait se laisser prendre à l’exotisme. Prenons un exemple : je goûte particulièrement les polars anglais. Sans doute est-ce une réduction affreuse que de voir leur enquêteur se gaver de thé, de pintes et de tourtes aux rognons. La couleur locale devient une composante essentielle de la vie des personnages. Un charme de l’éloignement qui fonctionne à plein chez John Harvey.

Un polar à Nice me laissait craindre le recours à la carte postale. Boccanera n’échappe pas entièrement à la visite touristique : vieilles rues, quartiers à l’écart du tourisme, patois local (le nissart) et préservation d’une identité forte menacée, bétonnée. Sur les docks ne proposait pas autre chose avec Cardiff mais toujours avec ce qui, d’ici, ressemble à une vraie sympathie pour sa population locale.

Le livre de Pedinielli pourtant fonctionne justement par son enthousiasme. Dans tout ce roman, flotte un enjouement, une vraie empathie pour ses personnages. Ghjulia Boccanera en premier lieu. Récit à la première personne qui use de cette tradition du polar féminin qui marche. Peut-être est-il trop facile de croire que le geste politique de donner la parole à une femme forte serait devenu une facilité. Tout est toujours à refaire. Bien sûr, Pedinielli s’inscrit dans une tradition du polar des années quatre-vingt dix. Impossible de ne pas penser ici à Dominique Sylvain ou Val McDermid. Boccanera reprend le personnage de la détective sympa, épaulée par sa communauté d’amis, évoluant toujours aux abords de la marginalité. Notons au passage, au-delà de l’exploration d’un milieu gay (toléré par le dangereux fantoche fascitoïde qui leur sert de maire, en dépit de ses convictions très réactionnaires, pour les ressources financières de cette communauté), de très belle page sur ce refus d’enfant féminin qui est encore très mal accepté. Une femme sans enfant aurait énormément de mal à se faire ligaturer les trompes… Boccanera ne boit plus du tout, toujours mauvais signe, court et boit du café. Pedinielli dessine ainsi la discrète singularité de son héroïne que l’on espère retrouver.

Le moteur de ce genre de polar reste l’indignation. Alors, certes, elle peut paraître stéréotypée et ne pas creuser la profondeur psychologique de ses personnages. Mais, le polar reste un genre populaire où le plaisir de lire, de se laisser porter par l’histoire, est la première vertu de l’auteur. Ma réticence pour le polar français tient aussi au danger de le voir sombrer, disons, dans le gauchisme bon teint. Par les magouilles financières, le racisme, l’imbécillité de la vidéo-surveillance, Boccanera s’y expose mais parvient à s’y soustraire. Sans doute par l’apprêté désinvolte de sa détective. Un vrai plaisir de retrouver un « har-boiled detective » au féminin. Accepter le plaisir qu’un polar est toujours la mise en scène d’un redresseur de tort. Michèle Pedinielli se révèle une romancière que je suis content d’avoir découvert notamment par sa maîtrise de l’économie narrative. Elle sait quand il est temps de ne plus s’appesantir, reprendre l’action, ne pas trop s’appesantir sur un dénouement peu crédible.

Peut-être est-ce là un des atouts du polar à la française : la crédibilité est une convention. L’enquête ne doit pas s’astreindre à un permanent réalisme factuel. Le vrai charme de Boccanera tient à cela : Diou, comme est appelée l’enquêtrice, est entourée de personnages sympathiques, vit dans une communauté presque trop belle. On s’y laisse prendre avec un plaisir coupable. L’occasion de se demander si l’excès de noirceur de pas de polar ne tente pas une justification de cette lecture dont il faut assumer le caractère de pur divertissement.


Une fois encore, je remercie très chaleureusement les éditions de l’Aube pour cette découverte.

Boccanera, 210 pages, 17 euros 90.

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