Solstice José Carlos Llop

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Récit lumineux d’un insulaire paradis enfantin, accumulation lumineuse de sensations, odeurs et autres différenciations sémantiques, la prose précise de José Carlos Llop recrée les enchantements de ses étés à Majorque. Dans ce court livre délicat, l’écrivain offre une réflexion précieuse sur le temps et l’immuable calme de ses retours.

Commençons par l’ombre d’une réticence. L’auteur l’avoue lui-même : son récit serait ouvertement réactionnaire. Tout au long de Solstice on sent Llop embarrassé par cette évidence : le retour aux terres de son enfance n’évite pas toujours la nostalgie et l’encens des valeurs anciennes n’est à ses yeux pas dénué de valeur. Avant de tomber dans l’aisé réprobation pour la gloriole militaire dont se charge le récit, sa spiritualité catholique, de faire passer le tout pour un accord tacite avec le régime franquiste, Solstice nous demande surtout à quel point nous parvenons, réellement, à nous détacher de notre éducation.

En fin de compte, quand le paradis disparaît, c’est toujours la littérature qui apparaît.

Soulignons surtout le délicat miracle d’un livre heureux. Peut-être par une douce appropriation des figures attendues qui en constituent la volatile essence. La Méditerranée, mare nostrum, lieu de mémoire et d’accueil, figuration homérique et biblique. Au final, tout ceci importe peu. Commentaire parfois pesant, un rien trop référencé ou rendu dans une allégorie dont l’immédiate vérité finie par paraître automatique (une chambre à soi, la mémoire et le rêve, la terre des morts…). Majorque terre littéraire, une enclave chic de culture. Le séjour de Queneau et Leiris en 1936… Mais ces évocations sont vite rattrapées par le miracle de la prose de Llop. Restituer une lumière, celle désertique mais « filtrée par une pellicule d’eau très fine, à peine perceptible. » La senteur écrasée par le soleil, les mots nouveaux pour en dire la faune et la flore. On songe au Camus de Noces tant la lumière y dessine une forme de plénitude. On croit surtout dans cette invention d’un temps qui serait un

talisman, une relique d’un autre monde qui aurait pu être et n’a jamais été, et en même temps le symbole de la façon dont mon père vivait son propre temps.

Image bien sûr de cette littérature de l’enchantement, Llop invite à l’invention de son propre lieu. Je souhaite au lecteur de connaître cette sensation séparée d’un temps insulaire et immuable. Où l’on sait que « la mémoire est une forme de littérature. {…} Une pièce où se loge également son détachement du monde. » Ceci à propos de sa mère. Portraits parentaux d’ailleurs saisissant. La montre du père, la force de la mère. Le temps qui ne change pas, les étés toujours les mêmes.

Alors, tandis que l’eau salée coulait sur mon corps, j’ai su que le temps était la totalité du temps. {…}. Et que c’était cela qu l’on cherchait – ou que l’on devrait rechercher – dans la vie : sa permanence tranquille dans le temps.

  Avec une telle réussite dans l’incandescence perlée de l’écriture, Llop recrée la perfection de son souvenir. On pense alors à Sebald ne serait-ce que pour cet accompagnement photographique qui sert à attester que tout ceci s’est produit. Pour Llop, seule la prose en réfléchira la perfection fragmentée.

 

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