Isidore et les autres Camille Bordas

9791095086826

Comédie grinçante, mise en scène de l’innocence, Isidore et les autres amuse très souvent. Camille Bordas parvient à déjouer tous les discours ceux de l’adolescence comme ceux universitaire dans une parodie toujours entraînante.

Isidore et les autres s’ouvre sur un bel effet de décalage. Par ma faute sans le moindre doute, puisque Camille Bordas annonce vivre à Chicago et avoir publié d’abord son roman en anglais. Dès les premières pages, flatteuse impression de pénétrer dans l’intimité d’une comédie juive new-yorkaise. Le roman véhicule cette brillance caustique de Extrêmement fort et incroyablement prêt, par cette attention d’un adolescent trop intelligent pour des détails qui vont structurer le récit. Une tâche sur le canapé annonce l’usure et le besoin de l’effacer d’Isidore, le narrateur, le seul élément de cette fratrie a  n’être pas précoce et embarquer dans les affres d’une thèse universitaire, le seul à s’intéresser aux autres .

Le roman américain se révèle pourtant très vite une fausse piste, justement par la très fine capacite de Camille Bordas à ne jamais localiser son action. Isidore et les autres se situe dans une ville indéterminée de la province française, dans un temps indistinct. La seule claire indiquation d’époque est hilarante : la seule fois où Isidore a vue son père rire de fut lors de la dissolution, par Chirac, de l’Assembleé Nationale. J’en ris encore.

Cette comédie adolescente se rit des passages obligés mais les emprunte tout de même avec une once de vulgarité fort heureusement jamais complaisante. Nous n’échapperons pas à l’initiation sexuelle d’Isidore, aux persécutions du collège. L’ensemble avec une vraie acuité. N’aurait-on pas de raison, comme l’émet une des nombreuses  soeurs d’Isidore d’avoir un avis, peu flatteur, sur tout ceux qui semblent avoir traversé  sans problème leur adolescence ? La comédie collégienne fonctionne dès qu’elle se déprend, avec cette finesse à déjouer les mises en abyme et autres reconnaissances présupposés de l’autrice, de l’argumentaire sociologique.

C’est comme les écrivains qui te parlent d’un roman d’apprentissage, une initiation au monde post-capitaliste et une plongée dans ce que cela signifie réellement de recevoir une éducation alors que leur roman n’est rien d’autre que le récit magnifié de la première fois qu’ils sont allés aux putes.

  Roman d’une famille que l’on peut d’abord penser un peu trop nombreuse pour que les personnages se détachent dans leur singularité, Isidore et les autres retient les faciles identifications à la romancière. Isidore est chargé, par l’intéressée, d’écrire les mémoires de sa sœur. N’importe quel romancier rêverait de son empathie et de son aveuglement. Au passage Camille Bordas fait preuve d’un imparable sens de la chute : très souvent les séquences de ce roman se refermer sur le constat d’un ratage où affleure l’ironie.

Isidore n’est rapidement plus l’unique instance narrative possible. Un de ses frères, taiseux thésard,  pratique une observation non-participative de sa famille. L’argument sociologique revient en douce, à bon droit sans doute. Isidore et les autres se présente aussi comme un  portrait en connaissance de cause de cette étrange caste des doctorants. Une aspiration trahie à un savoir universel.  Camille Bordas utilise alors la parlante image de l’entonnoir pour dire l’angoisse de ne plus continuer à apprendre, de figer un savoir afin de le transmettre. Une vue de l’esprit certes.

Comédie brillante, conscientes des artifices prévisibles de la narration, Isidore et les autres pourrait paraître mettre un peu trop à distance toute émotion. Référence presque obligatoire à Brecht. Camille Bordas la suggère néanmoins par le personnage ridicule de cette doyenne à qui il ne reste plus personne à qui transmettre son expérience et apparaît alors comme le reflet du déni de la mort du père. La romancière bien sûr ne se laisserait pas aller à des formules aussi grossièrement grandiloquentes.  Notons, pour finir, une dernière identification possible: le roman dans son entier serait un 《 exercice mélancolique .》 Une façon de regarder tout ce que l’on a devant soi comme appartenant à un passé lointain…


Merci aux Éditions Inculte pourl’envoi de ce livre à paraître en août 18

Isidore et les autres (19 euros 90, 414 pages)

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