Nami Bianca Bellova

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Un lac qui s’assèche, perd ressource et magie dans un désastre écologique apocalyptique. À partir de ce décor à l’atmosphère si finement captée, la vie d’un enfant se déploie. Nami se pare des atours d’un conte contemporain, sans grand espoir. Par ce roman froidement fascinant, Bianca Bellova entraîne dans une jolie hallucination, difficilement situable, aux confins du cauchemar soviétique.

Dès les premières pages de ce roman plein de fragments détachés, de chute amères,  tenu seulement par la progression de la larve au papillon (cette dernière stase restant hors-cadre), son univers singulier évoque trompeusement le post-exotisme d’Antoine Volodine. Une fausse piste qui a hélas orienté ma lecture et, parfois, me l’a tenue à distance. Pas certain de goûter cet imaginaire apocalyptique à cause, chez Volodine, d’une absence de repère, d’un manière, si je voulais être méchant, de se montrer complaisant envers la souffrance et une déshérence symbolique dont le poids ne suscite ni compréhension ni empathie.

À creuser la lecture, ce défaut ne frappe catégoriquement pas Bianca Bellova. L’imparable dédicace de ce roman, aux gens qui sont sur la route, dote les errances de son héros éponyme d’une véritable pertinence contemporaine. Il ne faut pas pousser beaucoup nos prédictives angoisses pour penser que demain nous serons, tous, des réfugiés écologiques. Par ailleurs, le fait de ne pouvoir tracer des frontières entre le territoire de l’imaginaire créé une identification panique à cette prose dont on croit toujours pouvoir reconnaître le décor. À cause du lac Baïkal, de son dictateur (le livre est truffé de référence aux omniprésentes statues de l’homme d’état), j’ai pensé, sans rien y connaître, à l’Ouzbékistan. Le lac de Nami est asséché pour irriguer de peu productif, hormis dans la propagande, champs de coton. Le paysage et ses habitants subissent les retombées d’une probable, mais tue, intoxication nucléaire. Un enfant à trois bras un rien excessif. Le pétrole qui surgit et attire les convoitises étrangères. L’ensemble rend l’atmosphère de Nami d’une rudesse souvent peu attractive. Alors bien sûr, des personnages évoluant dans ce milieu ont des réactions brusques, d’une masculine bêtise. Mais Bellova ne montre aucune fascination pour l’imbécile violence qu’elle n’occulte pas.

Nami éprouve comme une nostalgie profonde, un douloureux sentiment semblable à l’éveil déchirant du désir mâle.

Souvent un rien trop blanche, l’écriture de Nami brille souvent de sa délicatesse sans forfanterie. Notamment quand elle évoque une façon de toussoter d’une manière névrotique, des habits couleurs de tristesse ou encore la poussière en suspension comme un passé entretenu sans grand espoir. Nami part à la recherche de sa mère ou plutôt des trois triangles de l’image de son maillot de bain deux pièces quand dans le lac encore on pouvait se baigner. Leurs retrouvailles donnent lieu à de fictives explications et ouvrent à la question centrale du roman : qu’est-ce qui a un sens dans la vie ?

Est-il donc seulement possible que les choses commencent à se passer en accord avec Nami et nullement malgré lui ? Serait-il possible qu’il ait une vie totalement calme, ennuyeuse, ordinaire ?

Les explications s’effondrent. Il demeure une manière de magie obscure. Celle de partir à la recherche des objets enfouis, du passé immergé. Le lac comme miroir de toute littérature. Bien sûr. Bellova parvient à nous rendre la teneur exacte des croyances enfantines aux mythes que l’on nous y raconte. Nami s’accroche à sa croyance dans l’esprit du lac, dans une fatalité qui ferait de son errance une aventure. Le lecteur se heurte à une cruelle absence d’un sens supérieur. La rudesse du récit livre alors un enchantement désespéré. Densité et ténacité dès lors de l’univers inquiet et sombre dont la romancière se refuse à nous livrer les clés. Une angoisse contemporaine puisque nous la retrouvons dans Brûlées ou, dans le même contexte soviétique, dans Le bûcher. Le roman serait, définitivement, un royaume de cendres.


Merci à Miroboles éditions pour ce livre à paraître le 23 août 18

Nami (trad : Christine Lafferière, 253 pages, 19 euros 50 )

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