Sombre avec moi Chris Brookmyre

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Un polar palpitant sur l’effondrement des apparences. Sombre avec moi propose une intrigue haletante mais surtout, au-delà des rebondissements propre au genre du thriller, une belle réflexion sur les rôles que nous acceptons de jouer, les accommodements qui fondent la substance de notre quotidien dont Chris Brookmyre donne un aperçu peu arrangeant. Une lecture à laquelle on se laisse prendre.

Le dispositif narratif de Sombre avec moi fonctionne particulièrement bien. Il repose toujours sur la mise en accusation que constitue toute parole sur soi. L’auteur s’en sert pour transformer le discours social dont est le vecteur, par obligation du genre, ce roman. Expliquons-nous. Assez habilement, Chris Brookmyre nous plonge de plain-pied dans l’éternelle culpabilité féminine : si une femme est tuée par son mari c’est de sa faute, pourquoi n’a-t-elle pas réagit avant, pourquoi ne s’est-elle pas enfuie ? Aucune de ces questions ne se posent si le mari est la victime. Au contraire, la tueuse est prise pour une froide manipulatrice. Sombre avec moi repose d’abord sur ce point de vue. Diana Jager tente de se disculper, laisse apparaître sa froideur, la rancune qu’elle a fait naître en dénonçant le sexisme dans l’univers médical. Ainsi prononcée, la critique sociale semble toucher plutôt juste. On peut malgré tout regretter l’explication un peu rapidement psychologique dans laquelle se réfugie Diane. La froideur de son père qui fait de ses enfants des accessoires, l’absence de passion du couple parental après le renoncement de la mère. Mais, là encore, on se laisse prendre car tout ceci est, qui sait, peut-être une excuse à un geste inacceptable. Si nous devons d’ailleurs nous arrêter un instant encore sur les reproches que l’on peut formuler sur ce livre, il faudrait souligner que sa très forte tension dramatique laisse place à un léger manque d’ancrage. Inverness n’y est pas même un décor : maigre apparition de son froid. Rien de spécifiquement écossais. Là encore, on peut l’entendre dans le fonctionnement habile d’un monologue de justification d’un milieu professionnel peu sensible à la géographie et à ses rêveries, peu portée sur l’analyse sociologique. Sans doute parce que le véritable sujet de ce roman est l’enferment dans son propre rôle, « un petit étron en garniture d’un énorme sandwich à la merde accompagnée de vomi. » ou tout aussi bien « le reste doux-amer quand tout le reste est tombé en poussière. »

Sa vie devenait une version digitalisée de la caverne de Platon : il était coincé là, tout seul, décrivant l’ombre d’une réalité qu’il ne pouvait pas toucher.

Ne parlons pas davantage des retournements de l’intrigue, de sa chute énorme. Évoquons plutôt les variations de réalité où se retrouve chaque personnage. Diane se regarde souvent exister, déteste l’image qu’elle offre, façonne pourtant en partie Peter à cette image de réussite, d’oubli de soi dans le travail. Le mariage et les rôles que, paraît-il il impose. La déception après la séduction, bref une belle façon de ne pas se résoudre à la vie qu’on mène. Mais toujours avec cette idée que cette version des faits, un rien hautaine, est peut-être un mensonge supplémentaire. Puis apparaît Jack Parlane, journaliste qui, pour une fois, sait que la réalité des faits n’est qu’une autre forme de mensonge. Lui aussi s’abuse lui-même, se trompe et sera trompé dans sa quête de vérité. Brookmyre alterne les points de vue en de très courts chapitre rythmés et parvient à maintenir l’ambiguïté jusqu’au bout. On aime à se faire ainsi balader.



Merci aux éditions Métailié pour l’envoi de ce roman

Sombre avec moi (trad : Céline Schwaller, 496 pages, 22 euros)

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