L’indécence de la confession, l’aveu de la honte, l’adolescence à nue en sa solitude, l’horreur panique de la sociabilité, la mort et la maladie. En 257 fragments, autant d’instantanées ou de réflexions, Alexie Morin expose celle qu’elle est devenue. Dans une langue simple et âpre, Ouvrir son cœur nous plonge dans les colères de l’enfance, les refus malheureux des troubles de l’attention, les souffrances ordinaires et tragiques du rejet par une très belle histoire d’amitié.
Durant la lecture de Ouvrir son cœur, je me suis souvent demandé si le plaisir pris à découvrir cette autrice ne tenait pas en grande partie à une sorte de distanciation. Disons l’exotisme, d’une proximité rassurante, de la littérature québecoise. Pas très utile, je crois, de revenir sur le sympathique décalage de la langue déjà évoqué pour Le jeu de la musique de Stéfanie Clermont avec lequel ce roman partage d’ailleurs le lien d’une ligne éditoriale. Posons plutôt ceci, le même roman écrit en France aurait sans doute suscité une réticence instinctive chez moi. Alexie Morin est éditrice au Quartanier, elle y publie un récit très intime. La même chose, à Paris, m’agace d’avance. Sans doute est-ce seulement personnel, mais j’apprécie fort peu de me trouver à une nostalgie collective. Avec un plaisant décalage, Alexie Morin m’a cependant plongé dans une reviviscence de mes années d’enfance, dans les années 90 dont elle livre, au passage, un portrait industrieux saisissant. Elle invente, transpose et recompose (elle insiste assez sur ce processus de modification de l’écriture) une ville, sa vie industrielle, son enfermement dans une sociabilité dont elle prétend, pas tout à fait à tort, saisir surtout les cercles et classements.
cette suite de souvenirs presque vides dans lesquels subsistent plus de peur et de haine que de scène de joie ou d’aventures. Cette suite de souvenirs où je ne suis pas là.
Sans trop parler de soi, ou le faire avec un masque nouveau dont Alexie Morin pointe l’espoir, il me faut bien admettre que l’attrait de ce livre est venu chez moi d’une profonde reconnaissance autobiographique. Ouvrir son cœur comporte de nombreux et jolis fragments sur le strabisme dont je fus, moi aussi, frappé enfant. Par construction, il en ressort une impossible vue en perspective, un perpétuel regard divergence. Nous touchons ainsi à un des cœurs du propos de ce livre : en quoi l’oscillation entre ressemblance et divergence de ce que l’on a été peut produire une forme d’attachement à soi ? Dans toute expérience autobiographique (Ouvrir son cœur en est indéniablement une : son résultat n’est jamais acquis, il se dégage un vrai charme des fragments qui commentent ce qu’aurait dû être le livre), l’ombre du narcissisme finit par planer. Alexie Morin déjoue cette écueil par une répétition quasi thématique, de celles qui finissent par poursuivre cette reconnaissance autobiographique.
La présence des autres près de moi, ou même à la périphérie de mon esprit, m’angoissera toujours plus qu’elle me réconfortera.
Au fond, si Ouvrir son cœur touche c’est par ce que l’autrice nomme indécence et qui me paraissent des instants partagés par tout un chacun. Dans son évocation de l’adolescence, Alexie Morin montre l’horreur hautaine de la sociabilité, le désir d’être intégré, le grand aveuglement dans lequel place un mépris malheureux. De retour à proximité de ces terres natales, la narratrice se demande comment elle sera reçu, corrige son point de vue et parvient à une version de son passé. Un des grands intérêts de l’autobiographie est sa suite, la prise en cause de ses conséquences. Tout le charme d’Ouvrir son cœur tient à son pendant lumineux, à sa doublure d’ombre que représente Fannie. Une part de moi a envisagé ce livre comme un roman ou plutôt n’a pas voulu vérifier son degré d’invention. La jeune Alexie est fuckée et croit devoir se racheter, « sans transition, elle bascule du côté des désespérés, c’est-à-dire de ceux qui en font trop. » Le livre, dans sa douleur intacte sur laquelle elle mettra un nom qui en recouvre en partie les emportements (troubles de l’attention, fourmille de rencontres malgré elle. La plus belle, la plus sombre, sera celle de Fannie en tant qu’autre conscience maladive. Avec la pertinence du vécue, avec son poids inhérent d’universel, de la même façon que Claire Messud dans La fille qui brûle est parvenu à le reconstituer, cette amitié persiste dans la honte (cette façon soulignée par Morin de se sentir coupable, de se croire ainsi au centre de tout) pour cette trahison. Dans sa maladie cardiaque, Fannie est populaire, elle s’éloigne de la narratrice, ne veut pas être vue en sa compagnie. Combien notre passé porte-t-il de tragédies si minuscules, recouvertes d’oubli mais porteuse encore d’une angoisse sans effacement ?
Je nourris ce regret cuisant et lointain et ancien et toujours neuf, au centre duquel se trouve sa figure qui me fait peur, qui est morte.
Au cœur de cet exercice autobiographie, l’autrice laisse une très belle béance à l’oubli, une expression brute, d’apparence quasi spontanée, à la mort. La langue de Morin est souvent brute, faussement naïve, comme fragmentée, reprise par fragments par cette prose dont l’impossibilité est d’emblée soulignée. À ce prix sans doute apparaissent les souvenirs d’une grande précision, d’une grande incarnation, intacte dans son émotion surtout quand les fragments (particulièrement dans la partie attention) se répondent et semblent se chevaucher. Une conjuration efficace, qui sait, du malheur.
Un grand merci aux éditions du Quartanier pour l’envoi de ce roman à paraître le 22 août 19
Ouvrir son cœur (366 pages, 19 euros)
Une bonne idée d’achat pour le 12 août!
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Oh, il m’intéresse celui-là, l’autrice a l’air d’aborder qui concerne des pans personnels de ma vie, mais j’ai peur justement de cet aspect personnel… A tester, je suppose.
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